« Libération » du président Alpha Condé : le CNRD se culpabilise…

Alpha Condé, ancien président de la Guinée

Comme indiqué dans une de nos précédentes dépêches, la junte militaire (qui a renversé le président Alpha Condé pour s’emparer du pouvoir en Guinée le 5 septembre dernier) a publié un communiqué dans la soirée d’hier, vendredi 22 avril 2022, pour annoncer la « libération » du président Alpha Condé. Une communication politique qui intervient à la veille du sommet de la CEDEAO, attendu notamment sur la Transition en République de Guinée. Surtout la crise politique née du refus des autorités actuelles de dialoguer avec les acteurs politiques et sociaux les plus représentatifs du pays et leur obsession à rester au pouvoir (déjà plus de 7 mois) sans donner la moindre proposition sur la durée de la Transition, ni même la liste des membres de l’organe dirigeant (le CNRD). 

« L’ancien président de la République, Professeur Alpha Condé est libre. Toutefois, il demeurera à l’actuelle résidence de son épouse jusqu’à l’achèvement des travaux de reconstruction de son domicile privé. Tout en continuant de bénéficier d’une protection adéquate, il pourra recevoir, à sa demande, les membres de sa famille biologique, politique, des amis ou proches », a indiqué le communiqué du CNRD. 

Le CNRD se culpabilise et se met tout seul en difficulté 

Selon le Larousse 2022, la « libération » est une « action de rendre libre une personne prisonnière » ; c’est donc un « élargissement » !

Ainsi, même celui qui ignorait ou faisait semblant de ne pas connaître le statut de l’ancien président depuis le putsch militaire est désormais obligé de tenir compte de cette annonce publique ! À travers ce communiqué, la junte militaire guinéenne se crée un problème juridique. Les militaires qui se sont emparés du pouvoir en Guinée annoncent officiellement avoir arrêté et gardé « prisonnier » l’ancien chef de l’État pendant plus de 8 mois et 17 jours (du 05 septembre 2021 au 22 avril 2022, à supposer que sa « libération » avait été effective hier, vendredi)… On sait que le président Alpha Condé n’a jusqu’à présent pas été inculpé de la moindre infraction qui justifierait qu’il soit gardé prisonnier même pour un jour, à plus forte raison des semaines et des mois. Ce qui signifie que cette action du CNRD est illégale ! Les auteurs de cette violation des droits de l’ancien homme fort de la Guinée peuvent donc être passibles de poursuites si la justice était réellement la boussole qui devrait guider nos actions… Mais, passons, peut-être qu’on en reparlera un jour… pour le moment, à moins qu’elle soit entreprise en dehors de nos frontières, une telle initiative est tout naturellement vouée à l’échec, tant que les maîtres de la Guinée sont les putschistes qui ont mis fin au troisième mandat…

Bref, ce communiqué décrédibilise les dirigeants actuels de la Guinée d’être les mieux à même de « garder » l’ancien chef de l’État « pour son bien et le respect de sa dignité ». Ils s’auto-désignent de facto comme ses bourreaux des griefs desquels on devrait le sortir pour amoindrir ses maux… Pour désormais mettre fin à sa détention comme prisonnier et éviter d’aggraver leur culpabilité, les militaires au pouvoir devraient laisser sa famille décider de la suite sur sa vie. Au contrario, s’ils tiennent à garder un œil sur ses faits et gestes, le contrôler, ils devraient immédiatement le présenter à un juge, chercher à l’inculper pour continuer à justifier son statut actuel même en résidence surveillée…

Par ailleurs, comme on peut facilement le constater, les deux « pièges » que le communiqué du CNRD a tenu à poser sont les alibis a priori d’éventuels constats que Alpha Condé ne sera en réalité pas « libre ». Il est d’abord précisé qu’il restera à la résidence qu’occupait son épouse, à Dixinn Landréah et que « sa sécurité » serait assurée. Donc, ceux qui souhaitent le voir incognito doivent encore attendre !

Ensuite, il ne peut recevoir de la visite qu’à sa demande. Donc, ça ne dépendra pas de la volonté de ceux qui souhaitent le rencontrer. Fussent-ils des amis proches, des membres de sa famille (biologique et politique), d’anciens collaborateurs ou autres. Il faudra que sa vienne uniquement de lui… 

Alors, par quel moyen l’ancien président de la République exprimera sa volonté de recevoir telle ou telle personne ? A-t-il un « libre accès » à des moyens de communication (téléphones, tablettes, ordinateurs connectés à internet) ? A-t-il la possibilité d’aller au siège de son parti, au centre ville, en banlieue, dans les mosquées, aux domiciles des amis et connaissances qu’il aimerait fréquenter pour humer cet air de liberté enfin offert par le généreux CNRD ? 

Assurément non ! En liant toute éventuelle visite que le champion du RPG arc-en-ciel pourrait recevoir à « sa demande », le CNRD a embrigadé et « emprisonné » ce bol d’air jeté sur la figure de l’opinion publique. Car, de ce que nous constatons, Alpha Condé ne pourra parler qu’aux éléments de la junte militaire guinéenne qui le surveillent et qu’on veut présenter comme étant ceux qui assurent sa sécurité… Ainsi, ce sera finalement au CNRD de décider qui va voir Alpha Condé au sujet de quoi et pendant combien de temps. Inutile de préciser que les nouveaux maîtres de la Guinée qui ont pu savoir tout ce qui s’est passé à milles lieux de Conakry pourraient se connecter et s’inviter à tous les sujets qui se discuteront à Landréah… On est même tenté de se demander si Ibrahima Kassory Fofana, Mohamed Diané et Cie ne se sentiraient pas quelques fois plus « libres » à la Maison centrale de Coronthie que leur champion, Alpha Condé, isolé dans la « résidence abandonnée »de Djéné Kaba. Avec qui l’ancien président pourrait trinquer, partager aujourd’hui ses peines, sa soif de liberté, ses angoisses et sans doute aussi ses regrets consécutivement à ses innombrables occasions ratées de sortir par la grande porte de l’histoire après tant d’années de lutte ? Jusqu’à quand pourrait durer cette situation et pour quelle finalité ?

Déjà, certains compatriotes se souviennent de trois autres annonces de « la libération de l’ancien président de la République », avant celle d’hier. Et comme par hasard, toutes sont faites à la veille d’un sommet de la CEDEAO qui réclame justement une libération « en vrai » du président Alpha Condé parmi ses revendications. Alors, l’opinion publique- en particulier la CEDEAO (qui est apparemment le destinataire de cette annonce d’hier)- fera-t-elle semblant qu’un pas (minime soit-il) a été franchi par la junte militaire guinéenne ?

Wait and see !

Nouhou Baldé pour Guineematin.com 

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