Récupération des domaines de l’Etat : Et si le CNRD voulait faire de nos villes des bourgades ?

Depuis son avènement au pouvoir le 05 septembre dernier en Guinée, le comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) entonne à gorge déployée sa volonté de récupérer les domaines de l’Etat dans ce pays. La junte militaire qui a ravi le pouvoir à Alpha Condé a déjà engagé des opérations de récupération desdits domaines à Conakry où plusieurs familles ont été expulsées de leurs résidences à la cité ministérielle. Ces opérations ont aujourd’hui atteint l’intérieur du pays où, depuis quelques semaines, les administrateurs territoriaux (notamment les préfets) procèdent à l’identification et au marquage de tous les domaines qui appartiendraient à l’Etat. Ils promettent de récupérer les domaines bâtis et de raser toutes les constructions qui se trouvent sur les domaines non bâtis. Est-ce une approche intelligente de démolir ?

Tout d’abord, c’est dans l’ordre normal des choses qu’un Etat veille récupérer, protéger et préserver son patrimoine. Et, de ce fait, l’action du CNRD n’est en rien critiquable. Mais, il est aussi du devoir d’un Etat de protéger et préserver ses citoyens. Et, de ce point de vue, permettre à ses administrés d’avoir un toit, un logement, est le premier acte de sécurité qu’on puisse leur procurer. Malheureusement, cette vaste opération du CNRD fera des milliers de sans abris si son aspect démolition est mené jusqu’à terme.

Ce qu’il ne faut surtout pas occulter dans cette affaire, c’est la responsabilité de l’Etat lui-même dans les actions « d’occupation illégale des domaines de l’Etat » en Guinée. Il n’y a pas un seul mètre carré dans ce pays où l’Etat n’est pas représenté, tout comme il n’y a pas un seul mètre carré qui a été vendu à un tiers dans un quartier sans qu’un représentant de l’Etat (chef secteur, chef de quartier…) ne soit impliqué. Et, qui est mieux placé dans un quartier pour connaître les domaines de l’Etat qu’un chef de quartier et ses chefs secteurs ?

Si pour remplir leurs ventres et leurs poches, ces représentants de l’Etat ont bradé les domaines de l’Etat à des particuliers en quête d’habitation, en quoi ces derniers pourraient être tenus pour responsables. Surtout qu’ils ont des titres fonciers et des plans de masse délivrés par les services de l’habitat en leurs noms. Dans une situation comme celle-là, l’Etat ne peut que s’auto-blâmer.

Si depuis plus d’un demi-siècle l’Etat a laissé le foncier pour compte, normalement ce n’est pas aux citoyens lambdas de faire les frais de son inaction. Au lieu de faire de nos villes des bourgades sorties de guerre, le CNRD devrait réfléchir à une approche intelligente qui consiste notamment à créer de nouvelles cités, de nouvelles villes. Il pourrait bien récupérer les domaines bâtis de l’Etat, mais concéder le droit de propriété à ceux qui ont acheté des terrains vierge et les ont mis en valeur. Car, vouloir expulser ces derniers et démolir leurs habitations sera extrêmement dommageable pour le pays. L’exemple de Kaporo-rail est largement illustratif. Et, il devait servir d’enseignement.

Aujourd’hui, il ne fait l’ombre d’aucun doute que si le CNRD poursuit son action jusqu’au bout, des quartiers entiers vont disparaître dans plusieurs villes (pour ne pas dire toutes les villes) de l’intérieur du pays. Et, comment fera-t-on pour reloger toutes ces familles qui seront déguerpies ? Surtout que dans le domaine de l’habitat en Guinée, les citoyens sont largement en avance par rapport à l’Etat.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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