Débat : la Guinée a-t-elle besoin d’une commission vérité et réconciliation ?

SéminaireOrganisé par le Haut commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, le séminaire qui regroupe 150 parlementaires depuis le mardi 26 juillet 2016 se poursuit actuellement dans la salle de conférence de l’ENI de Kindia. Hier, mercredi 27 juillet 2016, c’est monsieur Folly MESSAN (expert togolais) qui a développé aux députés guinéens le thème portant sur « Parlement et recherche de la vérité dans un processus de réconciliation nationale », a constaté Guineematin.com, à travers notre envoyé spécial à Kindia.

Cet exposé a ainsi permis de comprendre les contours de la création, du rôle, mais également du fonctionnement et des résultats attendus d’une commission vérité et réconciliation nationale dans un pays.

Tout comme en Afrique du Sud, au Maroc, au Ghana, au Togo, en Chili, au Canada, en Côte d’Ivoire et ailleurs, la recherche de la vérité constitue le tout premier rôle des commissions vérité. Les commissions font toujours la situation sur le passé.

Au Togo par exemple, la commission avait pour mandat de faire la lumière sur les actes politiques commis sur une période de 47 ans.

Comment éviter l’échec ou les mauvais résultats ?

Les commissions connaissent des fortunes diverses. C’est pourquoi, la commission envisagée par la Guinée, conseille le juriste, doit faire un travail de fond et non un travail de mode. En RD Congo, à la suite des accords de Sun City en 2003, les travaux de la commission ont largement piétiné, rappelle le conférencier.

Pour éviter de pareille situation, « il faut avoir une consultation de la population à la base et tenir compte de leurs aspirations ».

La commission vérité doit être de plus près possible des populations. Elle a besoin de l’appui du gouvernement, des élus, des institutions par exemple pour accéder aux archives de l’armée.

Une commission de vérité et réconciliation doit avoir une autonomie dans les enquêtes et une autonomie financière pour son fonctionnement.

La commission ne doit pas favoriser l’impunité, dit le présentateur. « Elle doit refuser de prêter le flanc à l’impunité et servir d’échappatoire à des personnes poursuivies, des bourreaux. Elle ne met pas entre les parenthèses la justice ». Pour y arriver, « il est important que l’Etat favorise le renforcement de son système judiciaire ».

Comment sont créées les commissions vérité réconciliation ?

Ailleurs les commissions vérités et réconciliation sont créées soit par décret du Chef de l’Etat ou par une loi votée par le Parlement (c’est le cas au Ghana en 2002). Et ce sont les deux voies possibles jusque là.

Il incombe de préciser également que c’est l’Etat qui choisit la durée à couvrir (courte, 11 ans comme en Haïti ou longue comme au Togo, sur 47 ans). En Guinée, la période pourrait aller au delà de cette durée, mais la décision appartient à l’Etat

Sur la composition. Généralement, c’est une commission ad hoc avec des compétences nationales comme au Chili ou en Côte d’Ivoire ou mixte comme au Togo, en Sierra Léone. Deux paramètres sont mis en œuvre à savoir l’appel de personnalités neutres et le genre.

Les tâches de la commission

Les tâches d’une commission vérité et réconciliation sont entre autres de déterminer la façon dont estime aborder la vérité, de recueillir les dépositions directement auprès des victimes (témoins, survivants, …), toucher un grand nombre de personnes, rassurer les victimes, créer une base de données sécurisée, conduire des enquêtes et des investigations (procéder à des recoupements d’informations, faire des recherches documentaires, demander la déclassification des archives en vue de vérifier l’information),…

Ou encore, faire des recherches thématiques (dans le cas des conflits fonciers) et confiées à des personnes ressources, tenir des audiences publiques sauf pour  des personnes qui en feront une demande express hors camera, établir un rapport et faire des recommandations et éviter les canevas spécifiques.  Certains en font plusieurs rapports comme en Afrique du Sud ou des photos comme en Haïti. Le travail fini, ces documents sont remis généralement au Chef de l’Etat (comme au Ghana).

Mais un tel travail est basé sur d’importants enjeux à savoir comment rassurer les témoins, éviter les risques de menaces, assurer les mesures de protection et d’accompagnement des victimes, le soutien psychologique, ou comment avoir la coopération des bourreaux. Et, avoir accès aux documents jugés confidentiels et classés parfois comme secrets d’Etat.

Une commission vérité et réconciliation, doit s’assurer des garanties de non répétition. D’ailleurs, il a été recommandé aux participants de lire l’ouvrage de l’Archevêque Sud africain, Desmond Tutu : « il n’y a pas d’avenir sans pardon ».

Dans les débats, il a été informé aux participants que la réconciliation fait partie des principales missions que s’est donnée l’Etat guinéen.

Et, la communauté internationale n’est venue qu’en appui à la volonté exprimée par le gouvernement. Dans tous les pays où cette commission a existé, l’Etat s’y est impliqué, a rappelé M. Folly.

Cette commission est-elle synonyme de justice ?

La réponse est non. Cette commission vérité réconciliation est un processus extrajudiciaire qui ne s’appuie pas sur la justice classique, confiée elle, à des professionnels. Le rôle des magistrats dans de telle commission est limité. La responsabilité ne leur revient pas même s’ils doivent faire parti de la commission.

Il appartient également à chaque pays de choisir les membres de la commission et surtout du leader de la commission qui doit être accepté par toute la couche de la société.

Comment faire accepter le pardon ?

Le pardon ne se décrète pas, poursuit le magistrat. C’est un processus individuel. Dans les autres pays, indique t-il, « peut être que certaines victimes gardent toujours les rancœurs dans le cœur et des souvenirs, mais elles ont eu la possibilité de connaître la vérité. C’est sûr que tout le monde ne pardonnera pas au même rythme ». Mais ils finissent par pardonner quand même. La diaspora peut être associée et sa contribution à la réconciliation nationale, comme au Ghana, peut être importante, conseille le conférencier.

Du rôle de la justice et du choix du leader de la commission

Le principe de la garantie de la séparation des pouvoirs et la capacité des magistrats à s’affirmer par rapport à l’indépendance de la justice, leur incombent.

Confier la direction de la commission vérité réconciliation à une personnalité extérieure comme l’a proposé un député, n’est pas une première comme dans certains pays. Mais généralement ce rôle revient à l’Etat de choisir à l’interne parmi les ressources disponibles. Là où de telles commissions ont été faites avec le choix d’une personne externe, c’est dans des pays en guerre ou sortis de guerre comme la Sierra Léone ou Haïti, a indiqué l’exposant. Il prévient toute fois « la justice transitionnelle est une question très sensible ». Ce qui demande de dépassionner les débats et faciliter le travail de la commission sur le terrain.

La présence de Guinéens au sein du Haut commissariat des nations unies aux droits de l’homme en Guinée

Les députés ont voulu tout savoir et comprendre. A ce niveau, il leur été dit qu’il ya « beaucoup de Guinéens qui travaillent au sein du HCDH-Guinée ». Et le mandat du HCDH est d’accompagner le gouvernement à réaliser le travail à travers la commission mise en place à cet effet. Après, « nous fermons notre bureau, c’est le cas au Togo », a conclu M. Eucher du HCDH.

De Kindia, Abdallah Baldé, envoyé spécial de Guineematin.com

Tél : +224 628 089 845

 

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