Mon  frère, mon camarade, mon ami,  Ahmed Tidiane CISSE (les larmes de Baadiko)…

Ahmed Tidjane Cissé, défunt ministre de la CultureAhmed Tidiane CISSE nous a quittés pour l’éternité. Ce monument de la culture africaine, ce digne fils de Guinée n’est plus. En lui, j’ai personnellement perdu un frère, un ami et surtout un camarade de lutte avec lequel nous avons partagé le même rêve d’une Afrique libre, unie et prospère, pour le plus grand bien de ses peuples.  

Je l’ai connu à Paris dans les années soixante, lorsque nous militions ensemble dans les mouvements d’étudiants et d’immigrés guinéens en France.  Après la chute du régime sanguinaire du PDG-RDA que nous avions tous combattu, nous sommes rentrés en Guinée en 1984. Il est vrai qu’à partir de là, nos chemins ont évolué en parallèle, dans des structures politiques différentes ; mais nous étions toujours d’accord sur les mêmes options fondamentales d’unité, de démocratie et de justice sociale. C’est cette convergence de vue réaffirmée qui nous a permis de nous retrouver et de travailler étroitement ensemble au sein du Forum des Forces Vives, pendant la période de la transition militaire ayant suivi la mort du Général Lansana Conté . C’est là que j’ai eu le plus à apprécier les qualités exceptionnelles de CISSE, homme de dialogue, tolérant et fidèle à ses idéaux de jeunesse. En effet, dans cette atmosphère de course aux postes et de manipulations politiciennes de toutes sortes, il su  garder le cap et privilégier ce que nous considérions comme les intérêts supérieurs du peuple de Guinée.

Ainsi il n’est pas inutile de rappeler un épisode marquant de cette période : ayant constaté qu’une transition sans balisage institutionnel était entrain de se mettre en place, avec le soutien de la communauté internationale et sans la participation des Forces Vives, nous avions entrepris de finaliser et faire signer l’Accord politique global inter-guinéen. Ce document capital devait constituer la véritable charte de la transition et prévenir toutes les dérives et toutes les forfaitures que nous avons eu à déplorer par la suite. C’est CISSE lui-même qui avait remis ce document consensuel à Jean-Marie Doré pour transmission au Général Sékouba Konate, avant la formation du gouvernement de transition. En ayant adopté cette position de principe, il savait qu’il prenait de gros risques au plan personnel, car il était devenu évident que ce document gênait énormément ceux qui ne voulaient à aucun prix se retrouver à gérer le pays avec des textes contraignants. Des messagers ont été envoyés à CISSE pour lui enjoindre de se désolidariser de nous, principalement de moi qui était à la pointe de ce combat pour une transition régie par des textes clairs s’imposant à tous. Mais CISSE est resté ferme sur sa position. Il a respecté la parole qu’il a donnée et n’a pas accepté de se dénier et de nous  trahir, quoi qu’il lui en coûte. Devant son refus de courber l’échine, les mesures de rétorsion sont tombées très vite : son nom a été rayé de la liste du gouvernement de transition dans lequel il devait occuper le poste de ministre de l’information et de la culture. Il a fini par se retrouver au Conseil National de la Transition (CNT). Au cours des élections présidentielles de 2010, bien qu’ayant opté pour deux camps opposés, nous avions gardé en permanence le contact. Lorsqu’il était Ministre de la Culture, nous avions eu à échanger longuement sur la politique qui devrait être menée dans ce domaine, afin de réhabiliter notre culture et d’en faire un véritable levain de l’unité nationale, dans une Guinée laborieuse et fraternelle. Mais je ne trahis certainement pas un secret en disant qu’au sein de l’équipe gouvernementale du RPG-Arc-en ciel, CISSE était marginalisé, rageusement combattu par certains pour sa rectitude morale et son refus d’adhérer à la mode ambiante de l’enrichissement illicite, de la corruption, de la flagornerie et de la division des nationalités. Son ministère a été intentionnellement privé des moyens minimum lui permettant de travailler et de remplir sa mission. CISSE avait compris que le changement tant espéré par le peuple de Guinée ne viendrait pas de ce régime là. Il était très triste de constater que le pouvoir dirigé par notre ancien camarade a complètement échoué et que nous sommes actuellement à l’opposé de la révolution salvatrice des peuples africains à laquelle nous avions tous rêvé dans notre jeunesse. Lorsque la maladie a commencé à le ronger jusqu’à le rendre impotent, il n’a pas eu d’autre choix que d’aller chercher des soins en France. Mais il savait qu’il ne reviendrait pas vivant en Guinée et me l’avait confié.

Ahmed Tidiane CISSE laisse au peuple de Guinée et particulièrement à sa jeunesse, l’image d’un authentique patriote, honnête, exigeant envers lui-même et prêt à aller jusqu’au sacrifice suprême pour le triomphe de ses nobles idéaux. Ses enfants et sa famille peuvent être fiers de lui.

Adieu CISSE, tu as bien mérité du peuple de Guinée et de l’Afrique. Nous te faisons le serment de continuer notre lutte commune jusqu’à ce qu’Allah décide qu’on aille te rejoindre. Que ton âme repose en paix.

Conakry, le 7 janvier 2015.

Par Mamadou BAH Baadiko, Président de l’UFD

 

 

 

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