L’ouverture de la session budgétaire de l’Assemblée nationale : ce qu’en pense le juriste Mohamed Camara

Mohamed Camara, consultant juridique, professeur d'Universités en Guinée, Conakry« Il faut inviter l’Assemblée nationale à apprendre à voter ! Parce que ça fait plus de 14 ans que l’Assemblée nationale en Guinée n’arrive pas à voter une loi de règlement. Alors que, quand vous avez une loi de finance rectificative à évaluer, avant de voter une nouvelle loi de finance initiale au titre de l’année prochaine, il faut voter une loi intermédiaire qu’on appelle loi de règlement », dit Mohamed Camara, interrogé par Guineematin.com

Monsieur Mohamed Camara bonjour ! Nous avons assisté ce matin 08 octobre 2014 à l’ouverture de la session budgétaire 2015 de l’Assemblée nationale. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Au plan juridique d’abord, il faut se satisfaire de l’installation de cette Assemblée et que la session se tienne effectivement parce qu’on était dans une précarité institutionnelle. Heureusement, comme il y a une Assemblée, tant mieux. Cela dit, ça appelle un certain nombre d’observations parce que l’Assemblée nationale est coutumière d’un certain nombre de faits. Le  fait de ne pas respecter les délais qui sont constitutionnels. Quand vous prenez l’article 68 de la constitution guinéenne, c’est clair que les sessions ordinaires s’ouvrent de plein droit. Autrement dit, les dates sont indiquées déjà à l’avance à l’article 68 de la constitution. C’est le 05 Avril, la session des lois et le 05 Octobre, la session budgétaire. Si l’un des 05 tombait sur un jour férié, on reporte au prochain jour ouvrable. Voyez-vous que là, jusqu’à la huitième législature, n’est pas de nature à respecter ce délai. Ça c’est un premier niveau. Le deuxième niveau, c’est qu’on ne convoque pas une session ordinaire par décret. Les sessions ordinaires s’ouvrent de plein droit, parce que les dates sont connues. C’est lorsqu’il est question d’ouvrir une session extraordinaire que ça se fait par décret. Et, une session extraordinaire ne s’ouvre qu’un mois après la clôture de la dernière session et à la demande, soit du Président de la République ou de la majorité des députés. Et une session extraordinaire ne doit pas dépasser 15 jours.

Donc, au-delà de ces remarques juridiques liminaires, il est quand même louable de saluer  la tenue de cette session, mais surtout que la session ne se focalise pas que sur la crise d’Ebola parce qu’il y a Ebola, mais il y a après Ebola. Après tout, Ebola, à en croire les spécialistes, est une fièvre ; donc, il ne faut pas que la fièvre se transforme en fièvre économique, en fièvre sociale et en fièvre politique pour paralyser tout. Il faut certes faires face à Ebola, mais après, les autres dimensions de la vie sociale pour éviter que la population ne continue à demander de trop parce que les demandes deviennent de plus en plus incompréhensibles et les charges deviennent de plus en plus récurrentes, les ressources de l’Etat maigres.

Il faut inviter l’Assemblée nationale, pour une fois, à apprendre à voter ! Parce que ça fait pratiquement plus de 14 ans que l’Assemblée nationale en Guinée n’arrive pas à voter une loi de règlement. Alors que, quand vous avez une loi de finance rectificative à évaluer, à examiner, avant de voter une nouvelle loi de finance initiale au titre de l’année prochaine, il faut voter une loi intermédiaire qu’on appelle loi de règlement. Cette loi permet de savoir est-ce que le budget de l’année dernière a été exécuté en bonne et due dorme pour que les députés puissent se donner la main à l’effet de voter le nouveau budget. Ça participe de la question de la gouvernance et c’est pourquoi l’Assemblée nationale va ainsi s’appuyer sur le rapport qui va être produit par la Cour des comptes au niveau de la chambre des comptes de la Cour suprême, après l’installation notamment de la Cour des comptes parce que ce rapport qui est produit et qui fait un examen a postériori des dépenses qui ont été exécutées. Donc, la certitude des dépenses et l’exactitude des comptes pour justement orienter cela au niveau de l’Assemblée nationale. L’Assemblée va s’appuyer sur cela entre autres, pour contrôler les actions du gouvernement.

Justement nous avons assisté à l’ouverture de la session et l’essentiel du discours a été consacré sur Ebola.  Selon vous quels sont les risques auxquels les Guinéens pourront s’attendre après Ebola ?

Je pense qu’ils ne vont pas seulement se limiter au niveau de la crise Ebola parce qu’à la limite d’ailleurs, Ebola est une question sanitaire, mais la session budgétaire, c’est la session du budget. Donc, si chaque département a fait une sorte de projet de budget sectoriel et l’arbitrage a été effectué ; donc le projet de budget va être soumis au niveau de la commission au fond, ils vont examiner jusqu’au niveau de la plénière pour adopter la loi de finance qui est une loi organique, donc, qui nécessite la majorité des 2/3.

J’imagine que se refugier simplement derrière Ebola pour dire qu’il y a tel problème, tel autre problème, ce serait une sorte de refuge très précaire, très fragile. Il faut juguler Ebola mais, penser également à l’anticipation au niveau des autres plans d’actions prioritaires de développement parce que la population, après, ne se rendra pas compte qu’Ebola était passé par là. Elle va toujours demander de satisfaire le besoin d’intérêt général par la réalisation des services sociaux de base. Donc, c’est laisser ce qui est essentiel.  Mais après, il y a d’autres domaines d’intervention qui peuvent intéresser l’Assemblée nationale parce que vous savez qu’un député a trois fonctions. Il y a la fonction de représentation par application de l’article 129 de la loi électorale ; il y a la fonction de contrôle de l’action gouvernementale et de vote des lois par application de l’article 72, cette fois-ci de la constitution. Je pense que c’est tout ce qu’il faut intégrer.

Et puis, que le clivage qui a eu lieu entre les députés au niveau de l’Assemblée nationale au point qu’ils ne soient pas parvenus à s’entendre sur ce qu’on appelle le règlement intérieur qui est leur texte de base, ça en dit long par rapport à une crainte de mésentente entre les députés. Toujours est-il qu’un budget ne peut pas être bloqué parce que si au 31 Décembre le budget n’est pas voté, en ce moment le Président de la République doit intervenir par ordonnance. Même si dans le milieu financier à travers le monde ça va susciter assez d’interrogations par rapport à la discipline budgétaire et les engagements qu’on a eu avec les partenaires techniques et financiers quand au programme auquel la Guinée est soumise. Ça, ce sont des éléments qui sont importants. Mais, l’important par dessus- tout, ce que les députés doivent prendre en compte durant leur mandat, c’est vrai qu’il n’y a pas un mandat impératif, l’article 72 de la constitution interdit le mandat impératif, c’est un mandat représentatif, mais toujours est-il que, c’est bon que les députés dans la mesure de leur mandat ramènent le débat au fond pour faire face aux réalités de la population guinéenne.

Propos recueillis par Mamadou Alpha Baldé

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