Dr Edouard Zoutomou à Guineematin : « le bilan du CNRD n’est pas reluisant »

Comme indiqué dans nos précédentes dépêches, la junte du comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) aura sa première année à la tête de la Guinée demain, lundi 05 septembre 2022. Un moment idéal pour parler de la gestion de la Guinée par ces militaires dirigés par le colonel Mamadi Doumbouya. Une junte qui a perpétré un coup d’État contre le président Alpha Condé le 05 septembre dernier en égrenant un chapelet de maux contre l’ancien chef de l’Etat guinéen pour légitimer le putsch militaire. 

Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou, le président de l’union démocratique pour le renouveau et le progrès (UDRP), estime que le bilan de la junte « n’est pas reluisant ».

Décryptage !

Guineematin.com : Le CNRD va bientôt fêter sa première année à la tête de la Guinée. A votre avis, sur le plan politique, quel est le bilan que vous tirez de la gestion de notre pays par cette junte militaire ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l’UDRP

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Vous savez, un bilan, c’est par rapport à une prévision. Le bilan du CNRD, il faut être honnête pour dire qu’à mon niveau et au niveau de l’avis que nous partageons au niveau de l’ANAD, il n’est pas reluisant du côté politique. Au départ, l’arrivée du CNRD sur la scène politique en Guinée a suscité beaucoup d’espoir, surtout quand on prend les premiers axes de la déclaration qui a été faite par le CNRD. Il y avait quand-même beaucoup de lueur d’espoir. Notamment, la libération d’abord des détenus politiques, ensuite le fait de permettre les expressions de différentes opinions et l’arrêt des procédures extrajudiciaires, la lutte contre la corruption endémique dans ce pays et beaucoup d’autres choses. Mais, quand on prend, quel que soit le secteur, on se rend compte que les premières déclarations n’ont été que des déclarations faites simplement de bouffées d’air. Parce que sur le terrain, toutes ces déclarations ne se traduisent pas. Prenez par exemple le côté de la justice qui était supposée être la boussole de toutes les actions, la justice n’est pas la boussole de toutes les actions aujourd’hui. On se rend compte que la justice est toujours instrumentalisée ; et là, les exemples fusent. On n’a même pas besoin d’entrer dedans, parce que ça se constate au jour le jour. Si aujourd’hui il y a des gens qui sont en prison, des gens qu’on va enfermer ensuite on cherche à leur coller des chefs d’accusation, ça veut dire que la justice ne travaille pas. En principe, pour mettre quelqu’un au gnouf, il faut établir d’abord des preuves de sa culpabilité. Que la justice se prononce pour dire que tel est coupable de tel ou de tel avant qu’on l’enferme. Mais ici, ce n’est pas comme ça. Alors, les gens croupissent en prison et on se demande pourquoi ils sont là-bas. On ne peut pas parler de justice comme étant la boussole quand on enferme des gens qui en meurent avant d’être jugés. Ça dénote quand même une sorte de carence ou alors un délaissé total. Le choix dépend de celui qui veut parler ; mais, à mon avis, ce n’est pas une preuve de performance, ce n’est pas une preuve de faire de la justice la boussole de toutes les actions.

Au plan politique, si au départ le CNRD était vu comme un instrument apolitique qui est venu redresser beaucoup de choses sur l’échiquier politique, il est progressivement en train de se transformer en une organisation politique. Les actions entreprises, ce sont des actions d’envergure, il n’y a que les partis politiques par exemple qui pourraient aspirer à entreprendre des mesures de développement dans le cadre même d’une sorte de précampagne ou de campagne. Mais, ce qu’on voit. Le CNRD n’avait pas besoin de faire de campagne politique par exemple. Il avait simplement besoin de poser des actes et de rester dans la description d’une Transition réelle. La Transition, c’est comme un pont. Le pont ne peut pas être plus long que la route. Alors, si le pont joint deux bouts de route, c’est comme ça que nous voyons la Transition. Alors, quand la transition est venue, elle devait rester là, mettre les jalons pour qu’on ait en place des institutions légales, des institutions qui vont effectivement représenter la Guinée dans le long terme. Mais, à l’heure actuelle, je crois que tout ça est parti à l’eau.

Guineematin.com : Est-ce que vous essayez de nous dire que le bilan du CNRD n’est pas du tout bon ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Il n’est pas bon. Il y a eu des actes posés, il faut quand même faire ces exceptions. La création de la CRIEF a été quelque chose de salutaire. Tout le monde a salué, parce qu’en Guinée, ce qui retarde ce pays, c’est justement la tendance à une corruption endémique. Quand le CNRD a mis en place la CRIEF et j’entends que la CRIEF n’est pas une création du CNRD, l’idée existait bien avant. Nous nous avions pensé que le CNRD allait franchement prendre mesure de cette nécessité et faire en sorte que tous ceux qui ont géré puissent répondre de leurs actes et de leurs gestions. C’est tout à fait normal, c’est quelque chose que nous avons tous salué. Mais, à un moment donné, on a tendance à politiser la CRIEF pour en faire un instrument de chasse aux sorcières. Je pense que dans ces conditions-là, on ne peut pas franchement dire que le bilan est positif. Même si l’annonce a été bonne, mais les approches que nous voyons, il n’y a pas de pédagogie dans cette approche. Et, ça nous laisse comprendre qu’il y a effectivement des velléités de pouvoir rester aux affaires. C’est ça la réalité que nous voyons maintenant.

Guineematin.com : Le CNRD a quand-même organisé des concertations, des assises nationales, des dialogues. Voulez-vous dire que tout cela n’a rien apporté ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Il y a une différence entre faire et faire semblant de faire. Nous pensons que le CNRD a fait semblant de faire quelque chose. Les assises dont on parle devraient être axées sur la réconciliation. Mais, vous et moi, nous savons qu’une réconciliation ne se fait pas du jour au lendemain. On ne peut se réveiller un jour pour dire je vais faire la réconciliation. Il y a des parties qui sont opposées les unes aux autres. Il y a certaines dispositions qu’il faut prendre pour que les gens commencent à travailler ensemble, à vivre ensemble réellement, être impliqués dans la vie des uns et des autres. Mais, on ne peut dire seulement, parce que nous sommes de l’équipe dirigeante, nous allons prendre le gouvernement et dire d’aller recenser des problèmes que tout le monde connaît. Nous nous avions dit qu’on ne peut pas faire la réconciliation en faisant semblant. Vous dites aux gens de venir s’embrasser et puis vous pensez que la question est finie. Elle est profonde, donc il faut donner aux uns et aux autres la possibilité de se vider. Que vous sachiez ce que je vous ai fait et que moi je sache ce que vous m’avez fait, comme ça nous allons l’éviter à l’avenir. Mais, on ne peut décréter comme ça. Il y a des pays qui l’ont fait et on devrait s’en inspirer et peut-être apprendre d’eux.

Guineematin.com: on comprend que la réconciliation est un long processus. Mais, si le CNRD s’inscrivait dans cette dynamique, ne craignez-vous pas qu’il reste plus longtemps au pouvoir ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Justement, si on entreprend parce que le processus est long, si on permet aux autres équipes de venir, il n’y a pas de problème. Mais, il y a des projets qu’on ne peut pas entreprendre et terminer dans le cadre d’une Transition. C’est ça le problème. C’est la raison pour laquelle nous nous disons même qu’une transition n’est pas faite pour un développement. La transition est circonscrite dans un cadre bien déterminé, comme je l’ai dit au début. Alors, dès qu’on s’inscrit dans des projets à long terme, ça veut dire qu’on veut rester jusqu’à ce que ces projets finissent. Et ça, c’est le devoir régalien issu du peuple.

Guineematin.com : Le CNRD a fixé la durée de la transition à 36 mois. Le 05 septembre 2022, cette junte militaire aura un an à la tête de la Guinée. Mais, on ne sait toujours pas à quand le top départ de ces 36 mois. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : C’est l’un des problèmes. Si nous disons que le CNRD est en train d’opérer dans des conditions vraiment opaques, c’est une des raisons. D’abord il n’y a pas de nomenclature. Quand vous le dites, des cadres qui auraient pu avoir cet esprit de discernement commencent à dire qu’il y a des étiquettes. Le raisonnement pour nous est absurde, on ne devrait pas être à ce niveau-là. Nous pensons que si une équipe dirige, le peuple a le droit de connaître nommément ses membres. Qu’on dise qu’il y a tel ou tel dans une structure. Mais, quand on dit simplement il faut se référer aux tenues, moi-même peux je peux aller me confectionner une tenue pour être du CNRD. Ça ne se comprend pas et ce n’est pas normal. Nous sommes en train de dire que quand le CNRD est venu, dans l’esprit de transparence, on aurait dû d’abord savoir qui ils sont, la structure qu’il y a. Ensuite, pour montrer effectivement qu’ils sont transparents dans ce qu’ils sont en train de faire, les biens qu’ils ont, parce qu’ils sont en train de gérer, il faut qu’on sache ce qu’ils ont au moment où ils viennent appartenir à l’équipe pour qu’après eux qu’on sache ce qui s’est passé. Et, s’il y a du bon travail bien sûr, nommément, on va dire il y a tel ou tel. On dirait que c’est une question de passe temps, on donne aux uns et aux autres l’opportunité de rester là simplement et de tuer le temps. Parce que c’est ce qui est en train de se faire. Sinon, quand on prend dans l’ensemble ce que le CNRD avait promis de faire et qu’il est en train de faire, il y a un divorce total.

Guineematin.com : Le CNRD aurait un an le 5 septembre prochain à la tête de la Guinée. Peut-on dire aujourd’hui qu’il nous deux ans de Transition, conformément aux 36 mois validées par cette junte ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : Eux, dans leur entendement, les 36 mois ne commencent pas le 05 septembre 2021. Donc, vous, peut-être, vous imaginez que ça a commencé à partir de cette date. Mais, pour eux, ça commence maintenant 36 mois après. Ça veut dire qu’on a simplement perdu un an sans rien faire et ça ne s’explique pas. Il y a quand même des tâches auxquelles on aurait dû s’atteler pour montrer effectivement que la transition est en train d’aller dans la bonne direction. 

Guineematin.com : Quel espoir vous avez par rapport à la réussite de cette transition ?

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : On est quand même des optimistes, nous pensons qu’il y a un processus à suivre dans une transition. Puisque la transition elle-même est éphémère, personne n’a la légitimité dans la transition, nous pensons qu’il faut une gestion consensuelle, le mot est très important. On peut ne pas être à 100% d’accord, mais si mes idées sont débattues avec l’implication de tout le monde, peut-être que chacun se sentira responsable de quelque chose. Mais, à l’heure là, les 36 mois viennent de quoi ? C’est justement le simulacre. On a pensé qu’il faut réunir des gens après avoir créé une majorité artificielle, c’est ça qu’il faut dire avec la création par exemple du CNT. La composition même est faite de façon à donner une majorité à ceux qui sont d’un côté favorables à ce que le CNRD veut faire avant même que les débats ne commencent. C’est la raison pour laquelle nous pensons que c’est un simulacre. Si on avait donné l’occasion effectivement d’être dans la transparence et de monter un CNT qui a l’aval du peuple, ce serait une très bonne chose, mais on a fait semblant. On fait participer des gens dans un cadre confus où il n’y a pas réellement de débats intellectuels, après on dit qu’on a consulté les gens, les uns vont venir proposer 5 ans, d’autres 24, 36 mois. On fait une moyenne arithmétique, on dit voilà on est tombé sur 36 ou 39 mois. Ce n’est pas comme ça que ça se fait. Je suis vraiment au regret de le dire, si on veut que les gens nous prennent au sérieux, il y a des choses à faire pour qu’effectivement que ces institutions nous prennent au sérieux. Même au niveau de la CEDEAO, c’est ce qui est en train de se dire.

Mamadou Yahya Petel Diallo pour Guineematin.com

Facebook Comments Box