Origines, acquis, faiblesses de l’Union Africaine : ce qu’en dit l’historien, Faya Mao Dembadouno

Faya Mao Dembadouno, professeur d’Histoire à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education (ISEEG)
Faya Mao Dembadouno, professeur d’Histoire à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education (ISEEG)

Il y a cinquante sept (57) ans jour pour jour, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) naissait à Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie. Cette organisation, créée le 25 mai 1963 et devenue Union Africaine (UA) en juillet 2002, est souvent décriée par son incapacité à régler les défis qui assaillent le continent africain où la pauvreté ne fait que s’accentuer.

Pour parler des acquis, des faiblesses et des moyens de rendre efficace l’Union Africaine, un reporter de Guineematin.com a donné la parole ce lundi, 25 mai 2020, à Faya Mao Dembadouno, professeur d’Histoire à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education (ISEEG) de Lambanyi, à Conakry.

Décryptage !

Guineematin.com : il y a de cela 57 ans, naissait l’OUA, au lendemain de la vague des indépendances. Qu’est-ce qui a poussé les dirigeants d’alors à mettre en place une telle organisation ?

Faya Mao Dembadouno : je rappelle que les Etats africains ont été colonisés par les Etats européens, à l’exception du Libéria et de l’Ethiopie. Après la seconde guerre mondiale, ces Etats colonisés ont réclamé unanimement leur indépendance. Ils ont constaté que l’indépendance est un élément très important pour se développer, pour être uni. Mais, les pères fondateurs de ces Etats africains indépendants ont cherché à mettre en place une organisation à dimension continentale. Il est vrai que l’unité africaine, l’idée n’est pas née en Afrique. L’idée est née depuis le XXème siècle. L’idée est venue des descendants d’esclaves qui ont été déportés. C’est eux qui ont parlé pour la première fois de l’unité de l’Afrique. Mais sur le continent Africain, l’homme qui est reconnu comme le précurseur de ce panafricanisme, s’appelle Francis Kwame Nkrumah, le père de l’indépendance du Ghana qu’on appelait la Gold Coast. Le Ghana était le premier pays en Afrique au Sud du Sahara à avoir accédé à son indépendance. Donc, Kwame Nkrumah a cherché à mettre dans son pays le Self Governement, qui signifie se gouverner, c’est-à-dire que les africains prennent leur destin en main. Il a voulu instaurer ça sur le continent africain. Malheureusement, les indépendances sont venues en cascade. Les pays africains n’ont pas accédé à leur indépendance au même moment, à la même année. Et le Ghana a accédé à son indépendance le 6 mars 1957, la Guinée en 1958, mais la majeure partie c’était en 1960. Malgré l’option de cette indépendance en cascade, le président du Ghana a voulu mettre en place une seule Afrique, une Afrique sans frontières. Cela, pour qu’on ne parle plus de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique du Nord, de l’Afrique du Sud, ou de l’Afrique de l’Est ; qu’on parle de l’Afrique tout simplement et qu’on mette en place un Gouvernement Africain c’est-à-dire à l’image des Etats-Unis d’Amérique. Malgré que ça n’a pas marché comme il l’aurait voulu, mais l’organisation a été mise en place le 25 mai 1963 à Addis-Abeba en Ethiopie. L’objectif était de mettre ensemble les africains et de combattre tous les maux dont souffrait le continent.

Guineematin.com : est-ce que les objectifs pour lesquels l’OUA a été créé par les pères fondateurs ont été atteints ?

Faya Mao Dembadouno : parmi les objectifs que cette organisation s’était fixée, il y avait la lutte contre le colonialisme sur toutes ses formes. L’OUA a réussi à encourager les mouvements d’indépendance. Lors de la création de l’OUA, il y avait des pays qui étaient encore sous la domination de la puissance colonisatrice. Il y avait notamment les colonies Hispanophones et les colonies Lusophones. Donc, l’OUA a vraiment contribué à leur libération. Ça a été un des mérites de l’OUA. Mais politiquement, il y a des problèmes. Politiquement, l’OUA n’avait pas des moyens de pression. Et rapidement, les coups d’Etat ont commencé. Donc, tous ceux qui voulaient que cette Afrique soit véritablement unie, soient indépendantes des décisions de la puissance colonisatrice, ont été renversés, chassés du pouvoir, y compris l’initiateur. Kwame Nkrumah a été évincé du pouvoir en 1966. Il était venu se réfugier dans notre pays pendant 6 ans. Donc, tous ceux qui ont cherché à mourir cette idée de l’unité africaine, pour que ce continent soit totalement libre des décisions extérieures, ont été quasiment éliminés politiquement et parfois même physiquement, comme Patrice Lumumba.

Guineematin.com : qu’est-ce qui a poussé le remplacement de l’OUA en UA ?

Faya Mao Dembadouno : ce remplacement était visible. Pendant les années 1990, on voyait que cette organisation n’avait plus sa raison d’être. C’est l’ex Guide la révolution Libyenne, Mouammar Kadhafi qui a voulu faire renaître l’idée de Kwame Nkrumah ; mais, c’était très difficile pour lui. Il avait invité le 9 septembre 1999 tous les Chefs d’Etat africains dans sa ville natale à Sirte. Il a présenté le projet aux Chefs d’Etat. Malheureusement, il était difficile de dire à des présidents comme Oumar Bongo du Gabon de laisser le pouvoir ou à Paul Biya du Cameroun de laisser le pouvoir. Il y a eu des problèmes. Ils se sont rencontrés au Togo en 2000. Finalement, les Chefs d’Etat africain se sont retrouvés le 9 juillet 2002 en Afrique du Sud pour mettre en place non pas les Etats Unis d’Afrique mais une nouvelle organisation qu’ils ont nommée l’Union Africaine, en remplacement de l’OUA.

Guineematin.com : est-ce que cette l’UA est parvenue à atteindre les objectifs pour lesquels elle a été créée ?

Faya Mao Dembadouno, professeur d’Histoire à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education (ISEEG)

Faya Mao Dembadouno : d’abord, le promoteur de ce changement a été combattu. On l’a éliminé politiquement et physiquement. A cette époque, le président de l’UA et président du Bénin, Yayi Boni, avait levé le petit doigt pour dire qu’il faut que ce problème Libyen soit géré par les africains. En oubliant que la France ne voulait plus voir Kadhafi au pouvoir car celui-ci voulait rendre l’Afrique plus responsable. Ça, c’est contre la volonté des anciennes puissances colonisatrices, donc il faut l’éliminer. Tous les leaders qui voulaient donner à l’Afrique ses lettres de noblesses ont été pratiquement éliminés : Kwame Nkrumah a été éliminé pour ces raisons, Patrice Lumumba pour ces raisons, le jeune burkinabé Thomas Sankara a été victime, Kadhafi a été éliminé à son tour aussi physiquement. Donc, c’est pour dire que tous ce que les pères fondateurs de l’Union Africaine ont évoqué comme objectifs, pratiquement il n’y a pas eu de bons résultats. L’Union Africaine est venue en 2002. Mais de cette date à nos jours, voyez ce qui se passe en Afrique. Une organisation qui manque de moyen de pression. Et quand on n’a pas les moyens de sa politique, on ne peut pas réussir. Même pour résoudre certains petits problèmes, il faut tendre la main aux anciennes puissances. Donc, en termes de matériels, en termes de financement, rien n’est fait. La crise sanitaire qu’on est en train de vivre actuellement, le président de la commission de l’Union africaine, le tchadien, Moussa Faki Mahamat, il lui a été demandé la dernière fois sur les dispositions par l’Union Africaine pour que l’Afrique puisse contrer cette pandémie, il a dit qu’il a sollicité l’’aide de la Banque mondiale, de l’Union européenne, du Fonds Monétaire, que les fonds ne sont pas là, donc les dispositifs qui ont été mis en place ne peuvent pas être appliqués faute de moyens. Donc, nous n’avons pas les moyens de notre politique et là, c’est un problème très grave. Tant que cette organisation n’a pas les moyens de sa politique, ça sera très grave. Il nous sera impossible d’évoluer.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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