Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Je vais déroger à la tradition qui veut que ce soit toi qui m’écrives pour me féliciter après ma nomination au poste de ministre. Mais seuls ceux qui ne connaissent pas nos rapports d’amitié et de fraternité seront surpris par la promptitude avec laquelle je m’empresse de t’écrire. Quant à toi, qui as été de tous les temps et de toutes les épreuves mon confident et mon conseiller, tu ne seras point surpris par cette rapidité.

D’entrée de jeu, je te dirai qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai jamais été éprouvé que ces derniers jours. Depuis le jour où, pour la première fois, on m’a demandé de fournir mon CV pour un éventuel poste de ministériel jusque aujourd’hui, j’ai fait face à une véritable épreuve. Entre deux moi. Celui qui me disait d’accepter l’offre et celui qui me disait de la décliner. Pour la première fois depuis ces terribles périodes durant lesquelles nous préparions nos examens de fin d’année, j’ai fait plusieurs nuits blanches.

Cette épreuve était censée prendre fin après le décret. Malheureusement, je suis en train de traverser d’autres épreuves qui étaient les moins attendues du monde. Tout d’abord, un des miens, qui travaille au département depuis une trentaine d’années, a sollicité de me voir en privé. Le sexagénaire, qui serait parmi les indéboulonnables du département, m’a mis en garde. Il m’a dit entre autres de ne dire à mon téléphone que ce que je peux dire en public. Ajoutant qu’un ministre n’a aucun secret.

Cette confidence m’a conforté dans mes appréhensions. Il faut dire que quelqu’un d’autre m’avait dit quelque chose de similaire. A savoir que dans un état policier, c’est après avoir mis un homme sous écoute téléphonique que son décret tombe. Ceci dit, je pense sincèrement que l’actuel régime est totalement différent avec l’ancien. Même si je tiens compte de la mise garde du vieux. Et c’est la raison pour laquelle je me mets à table pour t’écrire au lieu de t’appeler.

La deuxième mise en garde du vieux est relatif à mes plus proches collaborateurs. Il m’a dit que dans ce département le ministre n’est rien d’autre qu’une marionnette. Le véritable patron est le secrétaire général. Or si j’ignorais la première information, en revanche je connaissais bien la seconde. Je savais que le ministre est surveillé de près par son secrétaire général qui rend compte à qui de droit. C’est pour cette raison que j’ai été très clair avec mon patron. J’ai accepté ce poste avec des conditions dont entre autres celle de mon choix de mes collaborateurs.

Alors que les interminables félicitations des parents, amis et collaborateurs, à la fois anciens et actuels, ne semblent pas finir, l’autre épreuve fut la rencontre avec le grand patron. Depuis le début de ma carrière, j’ai rencontré beaucoup de personnalités. A la fois des chefs d’Etat et même un secrétaire général des Nations Unies. Mais jamais, par le passé, je n’avais eu un entretien aussi terrifiant que celui que j’ai eu avec mon nouveau patron. Quelles que soient ton audace et ta sérénité tu ne peux pas le fixer deux fois. Et ce qu’il me disait raisonnait comme une parole angélique. Cet entretien, qui n’a duré que quelques minutes, m’a paru comme une éternité.

La vue de cet homme et son mythe m’ont rappelé l’histoire d’un résistant contre la pénétration coloniale racontée brillement par un griot. Selon ce dernier, sur le chemin de l’exil de ce résistant, il s’est arrêté quelque part pour chercher où dormir. Quand il s’est annoncé, son hôte, peu hospitalier, a demandé à sa femme de conduire l’étranger dans une autre case. Et quand la femme a vu le fuyard, elle est revenue dire à son mari que ce n’est pas un homme qu’elle a vu. Le mari est venu s’enquérir de la réalité. Il fut tout aussi terrifié à la vue du résistant. A la question de sa femme de savoir comment il l’a trouvé, il a demandé à cette dernière de donner à leur hôte ce qu’elle aura préparé le matin comme petit déjeuner. Quant à lui, il dit qu’il ne devait pas dormir à la maison. Ce a quoi la femme a répliqué que si son mari déserte la maison, elle-même n’aura rien à faire là-bas. Bref, au risque de devenir griot moi-même je m’arrête ici avec cette histoire.

A la sortie de l’entretien avec mon patron je croyais que mes ennuis étaient finis. Mais telle ne fut ma surprise de recevoir un appel de mon oncle maternel. Lequel me proposait de faire un sacrifice voire deux : l’un au village et l’autre en ville. Deux cérémonies contre les ennemis et pour la réussite de ma mission. Comme si j’ai un budget consacré aux sacrifices. Cette proposition m’a véritablement agacé. Car non seulement je ne vois pas ces ennemis dont il parle. Mais aussi la réussite de ma mission passe non pas par des sacrifices mais par la mise en place des outils de contrôle et de suivi des activités du département.

Je n’ai pas manqué de demander à mon oncle si, à sa connaissance, les autres ministres n’avaient pas fait de tels sacrifices. Et surtout si cela leur a permis de réussir leur mission. Visiblement il était vexé par ma remarque. Mais je ne compte pas me laisser impressionner voire influencer. Mon patron a insisté sur la nécessité de rompre avec les pratiques du passé. Parmi elles, l’influence nuisible de la famille et de la communauté. Bref, inutile de te dire que j’ai besoin de ton avis sur toutes ces questions. Et le plus tôt serait le mieux pour moi.

Sur ce, je te pris de transmettre mes salutations à ton épouse et à tes enfants.

Ton ami le ministre Habib Yembering Diallo joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence

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