Ismaël Condé a-t-il orchestré sa propre interpellation ? Un enregistrement accablant contre le vice-maire de Matam

Ismaël Condé, premier Vice-Maire de Matam et membre du Bureau Exécutif de l’UFDG
Ismaël Condé, premier Vice-Maire de Matam et membre du Bureau Exécutif de l’UFDG

C’est une situation qui risque d’être très embarrassante pour Ismaël Condé, cet ancien cadre du RPG arc-en-ciel (le parti au pouvoir), désormais proche de Cellou Dalein Diallo (le leader de la principale formation politique d’opposition en Guinée). Alors que ce jeune homme politique vient de passer cinq jours en détention pour une affaire « d’abus de confiance », interprétée comme un règlement de compte politique ourdit contre lui par son ancienne famille politique, un enregistrement qui circule actuellement sur les réseaux sociaux laisse croire que Ismaël Condé à lui-même orchestré sa propre interpellation.

Dans cet enregistrement de trois minutes et cinquante secondes, on entend clairement le premier vice maire de Matam encourager un certain « Kaba » de la PME « Etoile Emergent » à poursuivre en justice la mairie de Matam, à travers ses deux premiers responsables. D’ailleurs, Ismaël Condé promet de se ranger du côté de Kaba pour amener le juge à condamner la mairie à payer de l’argent à Etoile Emergent, a appris un reporter de Guineematin.com qui a écouté cette bande.

Les voix des deux hommes sont nettement audibles dans cet enregistrement. Et, on entend clairement Ismaël Condé donner des instructions à son interlocuteur, qui à son tour, se contente d’acquiescer. Compte tenu de la nature de la conversation, tout porte croire que les échanges entre « les deux frères » ont eu lieu après la libération hier, mardi 14 juillet 2020, d’Ismaël Condé au tribunal de première instance de Mafenco.

« Je vais te dire que je te soutiens, hein. Je ne suis pas fâché contre toi, je te soutiens. Les femmes ont travaillé. Si les commerçants n’ont pas payé, la mairie doit payer les femmes. N’oublie jamais ça. Toi, tu n’avais aucune force pour obliger les commerçants à te payer. C’est la maire qui t’a donné le contrat, c’est la mairie qui a fait sortir l’arrêté pour obliger les commerçants à s’abonner, si les commerçants n’ont pas payé ton argent, c’est seul le maire qui pouvait prendre une réquisition de comptes pour obliger les commerçants à te payer pour que tu paies tes employés. Moi, c’est ce que je vais dire au procès. Je dis, les femmes ont travaillé sous le soleil pendant deux mois, la mairie a refusé d’accompagner Kaba et son entreprise pour obliger les commerçants à payer l’abonnement pour que Kaba paie ses employés. Pourquoi la mairie n’a pas accompagné Kaba ? Tu as un contrat, ton contrat doit continuer, la mairie doit obliger les commerçants à s’abonner, à payer les abonnements, pour que ton contrat puisse aller devant. Je ne veux pas que tu rentres dans le jeu des politiciens. Laisse la politique entre nous les politiciens. Mais, moi, je te soutiens. Même devant le juge, c’est ce que je vais dire. Même devant la police, j’ai dit que la mairie a donné un contrat à Etoile Emergent, la mairie a fait sortir un arrêté municipal pour obliger les commerçants à s’abonner, Kaba a fait travailler les femmes sous le chaud soleil pendant deux mois, les commerçants ont refusé de payer. Qu’est-ce que la mairie a fait pour obliger les commerçants à payer ? Kaba n’a pas de force, il ne peut pas prendre les policiers. Celui qui peut utiliser la force pour que les commerçants payent Kaba, c’est la mairie. Pourquoi la mairie n’a pas fait son travail ? », interroge Ismaël Condé.

Poursuivant ses propos, Ismaël Condé décrit à Kaba la voie à suivre pour sortir victorieux face à la mairie de Matam. D’ailleurs, ce proche collaborateur de Cellou Dalein Diallo prédit même le verdict qui sera prononcé très prochainement par le tribunal de Mafenco dans cette affaire.

« Quand on est dans cette position, moi, je vais être de ton côté, comme ça, le juge va obliger la mairie de te payer ton argent. Parce que c’est la mairie qui t’a donné un contrat. Mais, il ne faut pas essayer d’individualiser le procès. Toi, tu poursuis la mairie à travers le vice maire et le maire pour que tu rentres dans tes droits. Tes employés ont travaillé, les commerçants n’ont pas payé, la mairie n’a rien fait pour que les commerçants paient. C’est ça ton problème aujourd’hui ; et, moi je vais aller dans ce sens. J’ai donné ton numéro à un journaliste de Guineematin, il va t’interviewer. Parce que les gens veulent envoyer comme si tu as envoyé ton frère en prison, non ! Il faut que tu te justifies ; sinon, ils vont essayer de mélanger. Tu dis que toi tu n’as pas poursuivis Ismaël. Tu dis que tu as poursuivis la mairie ; et, quand tu poursuis la mairie, c’est le maire et son premier vice maire. Tu as fait travailler tes employés, tu as engagé des dépenses, tout ça parce que la mairie t’a donné un contrat. Donc, toi tu exiges aujourd’hui que ton contrat continue. Les deux mois que tes employés ont travaillé, si la mairie n’est pas capable de dire aux commerçants de payer, que la mairie te paie. Comme ça, le juge va prononcer un jugement condamnant la mairie de te payer. C’est dans ça que tu vas avoir ton argent. Donc, moi, je ne te condamne pas, wallaye billaye, je ne te condamne. Donc, il ne faut pas t’inquiéter », entend-on dire Ismaël Condé sur cette bande.

Joint au téléphone ce mercredi, 15 juillet 2020, par un reporter de Guineematin.com par rapport à cet enregistrement gênant qui a été largement partagé sur les réseaux sociaux, Ismaël Condé a préféré s’abriter derrière le « secret de l’instruction », au lieu de confirmer ou infirmer ces propos qui pourraient donner un coup de poignard à sa crédibilité politique.

« Vous savez que le dossier dans lequel vous êtes en train de parler comme ça est en justice. Et, moi, je suis l’une des parties dans cette affaire. Aujourd’hui, je suis sous contrôle judiciaire et l’enquête est en cours. La loi interdit d’enregistrer quelqu’un à son absence et encore de divulguer une conversation qui doit être privée. Moi, je ne sais pas de quelle conversation vous parlez ; mais, par rapport à cette affaire, je veux que vous donniez le temps à l’instruction. Une fois que la procédure sera finie, moi, je donnerais tout ce que je sais dans cette affaire. Mais, pour le moment, il y a une enquête en cours, respectons le secret d’instruction », a indiqué Ismaël Condé.

Pour rappel, très tôt dans la matinée du vendredi, 10 juillet 2020, Ismaël Condé, avait alerté l’opinion sur la présence suspecte d’un véhicule de police devant son domicile. Le premier vice maire de Matam avait même demandé aux internautes de rester connectés pour participer à son « interpellation en live ». Cette « interpellation en direct » n’avait finalement pas eu lieu ; mais, vers midi, en compagnie de son avocat, Ismaël Condé s’est rendu au commissariat central de Matoto pour répondre à sa convocation. Sur les lieux, il avait été auditionné, inculpé pour « abus de confiance » et placé en garde à vue. Cette garde à vue a été interprétée sur les réseaux comme « une manœuvre du pouvoir » visant à le faire taire, compte tenu de sa virulence actuelle contre le RPG et son leader historique Alpha Condé. L’opposant Cellou Dalein Diallo avait dit que « cette interpellation du vice maire de Matam n’est que la sanction de son adhésion à l’UFDG et une illustration de plus de l’instrumentalisation éhontée de notre justice par Alpha Condé ». L’avocat du suspect, Me Alseny Aïssata Diallo, s’était aussi alarmé tout en soutenant que ce qu’on reproche à son client se trouve ailleurs et « non dans le domaine du droit ». L’air suspicieux de cet avocat avait conforté les complotistes qui soupçonnaient une main noire du pouvoir dans les déboires judiciaires d’Ismaël Condé.

Seulement, cet enregistrement risque de jeter un discrédit sur ce jeune homme politique dont la transhumance politique et ses récentes révélations suscitent un « réconfort » dans les rangs de l’opposition. En plus, si les voix qui y sont entendues sont authentiques, le premier vice maire de Matam aura fait avaler une grosse bourde à ses nouveaux amis qui lui ont pourtant fait preuve d’un grand soutient dans cette situation.

A suivre !

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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