Le monde culturel guinéen a rendu un vibrant hommage à l’artiste guinéen, Abdoul Karim Diallo, alias Abdoul Jabbar, décédé hier des suites de maladie, à Conakry. Le corps du défunt a été exposé ce samedi, 6 février 2021, à l’hôpital sino-guinéen de Kipé, où de nombreux artistes et opérateurs culturels sont venus lui rendre un dernier hommage. Plusieurs d’entre eux ont pris la parole à cette occasion pour témoigner sur la vie et la personnalité du reggaeman guinéen.
Décryptage !
Élie Kamano, artiste-chanteur, ami du défunt : « Au-delà de la musique, il y avait des liens très forts entre Abdoul Jabbar et moi. Lorsqu’il est tombé, on nous a appelés Ras Condel et moi. Et tout de suite, on l’a transporté chez le Pr Cissé. Arrivée là-bas, après le diagnostic, le Pr Cissé nous a conseillés de faire le scanner. Et sur le coup, j’ai pensé à appeler le ministre Bantama Sow, que je remercie, que la famille remercie, pour sa promptitude à prendre en charge le frère Abdoul Jabbar. Lorsqu’on arrivait ici, on ne savait pas à quel saint se vouer. Mais, lorsqu’on est arrivés, j’ai fait comprendre aux amis que le ministre avait déjà tout pris en charge.
Sur initiative de notre association, on devait l’évacuer en Tunisie. Mais, c’est après qu’on s’est rendu compte que le frère n’avait pas de documents de voyage. On a donc contacté le ministre de la Sécurité, M. Damantang Albert Camara, que je remercie aussi, qui après avoir constaté que le malade ne pouvait pas se déplacer, a fait venir la valise du ministère afin qu’on puisse faire les empreintes de notre frère. Mais, on nous a fait savoir que l’hématome était assez volumineux et qu’on ne devait pas le mettre dans un avion s’il n’est pas médicalisé.
Donc, il était question qu’on le garde afin que le sang puisse être absorbé. Mais, malheureusement, Dieu en a décidé autrement. Le frère nous a quittés. Abdoul Jabbar n’est pas mort parce que ses œuvres vont défier le temps, j’en suis sûr. Je disais à mon frère Takana hier, que si le reggae guinéen, on l’a mis à un niveau africain, c’était bien sûr avec Abdoul Jabar. Mais aujourd’hui, il nous quitte. Moi, il m’amène à combler ce vide. J’avais décidé de ne plus prendre de micro, mais je pense que je vais toucher le micro à cause de lui ».
Ras Condel, artiste-chanteur, ami du défunt : « J’aurais du mal à parler d’Abdoul Jabbar. Parce que les mots seront difficiles pour moi aujourd’hui. Je l’ai pratiqué ces 5 dernières années tous les jours. Tous les matins, on se réveillait ensemble, on traversait la journée ensemble. Et, même quand on se séparait à 19 heures, on se rappelait à 23 heures pour parler jusqu’à 2 heures du matin. Même le jour où il a fait sont AVC, on était encore en ligne jusqu’à 1 heure. Donc, Abdoul Jabbar, je retiens un ami d’une très grande valeur. Parce que voici quelqu’un qui ne s’énerve jamais, voici quelqu’un qui n’aime pas que moi je m’énerve contre quelqu’un d’autre, parce qu’il me ramenait toujours à dire laisse tomber, on va avancer sur autre chose.
Mais, je tiens à dire qu’il a vécu comme un moine qui a choisi la pauvreté et sa voix, il n’a lutté que pour sa musique. Il a gardé ses problèmes que pour lui, vous l’avez tous vu à Conakry, il a marché seul, il a marché la main dans les poches, mais il a marché pour sa musique non-stop. Il n’a rien voulu d’autre que cette musique-là. On a monté ce label ensemble. Et quand on avait des activités, il portait au dos où il portait le sac dans lequel il y avait notre argent pour les dépenses. C’est lui qui tenait les comptes, parce c’était vraiment mon ami de tous les jours. On a monté ce label ensemble.
Un jour, on a mené des activités. A la fin de la journée, on devait payer les travailleurs, et c’est lui qui payait les travailleurs. Donc, il a payé tout le monde, après il m’a remis le sac et il est parti. C’est mon chauffeur qui me dit : Abdoul Jabbar a payé tout le monde, mais il ne s’est pas payé lui. Donc, je tourne la voiture et je vais de l’autre côté, je le vois en train de marcher. Je lui ai dit : tu ne prends pas le taxi ? Il m’a répondu : tu m’as dit de payer les travailleurs, donc je les ai payés. Je dis : mais toi aussi tu as travaillé. Il a dit : moi, je ne suis pas un travailleur, je suis ton ami. C’est ça Abdoul Jabbar ».
Malick Kébé, opérateur culturel, ami du défunt : « Vous comprendrez qu’il est très difficile aujourd’hui de prendre la parole quand on a juste en face de nous un soldat, un monsieur qui s’est battu pour la culture guinéenne, qui est resté humble, il est resté lui-même. Grâce à lui, certains d’entre ses amis ont réussi à donner de la valeur au reggae guinéen. Je me souviens, il y a de cela quelques mois, lors du stage de formation que nous avons eu à organiser du côté du stade de Lansana Conté de Nongo, Abdoul Jabbar est venu, pas en tant qu’artiste, il est venu en tant qu’opérateur culturel. Il a appris, il a voulu comprendre, a voulu donner de la force à sa structure pour pouvoir aider d’autres.
Et, quand il a fini cette session de formation, il m’a appelé un jour et m’a dit : je voulais sortir mon album. Alors ce jour-là, nous avons longuement échangé et je lui ai dit qu’au moment opportun, nous allons être à ses côtés pour pouvoir l’accompagner. Mais, Dieu n’a pas voulu que cet album sorte devant lui. Mais, je voudrais ici ensemble que nous nous engagions tous à faire de cette sortie une sortie mondiale. Ceux qui sont là, ce sont eux les acteurs de la culture. À la sortie de cet album, que chacun d’entre nous s’implique réellement et sérieusement pour faire de cette sortie, une sortie mondiale ».
Moussa M’Baye, artiste-chanteur, ami du défunt : « Ce que je peux dire de Jabbar, il a toujours été quelqu’un d’assez humble. Il a choisi la musique. La musique met en lumière ses acteurs. Mais lui, c’est quelqu’un qui ne cherchait pas la lumière. Il avait son combat, il voulait participer à l’émancipation des mentalités en Guinée. Il voulait apporter sa part de solution à l’évolution de ce pays. Chacun a son chemin forcément. Que Dieu veille sur lui et qu’il l’accueille dans son paradis ».
Fodé Baro, artiste-chanteur : « La mort est un fait naturel de Dieu. On peut contrôler tout, sauf ça. Il est de mon devoir d’être là pour partager la peine, les douleurs de la famille culturelle. Ce jeune, je ne l’ai pas connu de près. Mais vous savez, la musique est un signe d’annonce. Il est comme un déclic de la mosquée. Quand le muezzin lève la prière, tout le monde se rend compte que oui, il est l’heure de la prière. Ça dépend maintenant de toi que tu partes ou pas, mais tu sais qu’il est l’heure de la prière. La musique est un grand signe planétaire. Donc, ce garçon je l’ai suivi à distance sans l’approcher.
Et, une fois, je me suis posé la question de savoir s’il était guinéen ou jamaïcain. Il avait une force naturelle musicale en lui et une expression mélodique qui est tellement si forte que quand je l’écoutais, je me disais est-ce qu’il est guinéen. Les bonnes choses ne restent pas longtemps. Paix à son âme et que Dieu l’accueille dans son paradis. Je pense qu’il n’est pas mort. Quand un artiste meurt, il n’est pas mort, parce qu’il a laissé quelque chose. Je pense que nous devons tous faire comme Élie qui s’est engagé, qui s’est battu pour la survie de Jabbar. Parce que nous sommes une famille, on doit se protéger, on doit s’aimer ».
A noter que l’artiste Abdoul Jabbar sera inhumé demain, dimanche 7 février 2021, à Fria.
Mohamed DORÉ pour Guineematin.com
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