Les mots et les maux du ministre : « je préfère l’ordre à la Loi »…

Habib Yembéring Diallo
Habib Yembéring Diallo

Cher ami,

Sachant que tu t’intéresses à tout ce qui se passe dans mon pays, tu as dû certainement apprendre que mon patron vient d’être investi dans ses prestigieuses et nouvelles fonctions de premier président de la quatrième République. Nos détracteurs appellent cela cyniquement un troisième mandat. Pour ton information, c’est le premier mandat de la quatrième République. Mais, je vais t’épargner de la polémique stérile de mon pays.

Pour revenir donc à l’investiture de mon patron, qui a des implications tant au niveau national qu’au niveau personnel, je dois rendre le tablier dès son installation, prévue demain, 21 décembre 2020. Ou pour parler le français facile et te permettre- toi qui n’es pas francophone- de comprendre ce que je veux dire, je dois démissionner. Non pas que je sois inconfortable à mon poste. Non pas que le courant ne passe pas entre mon patron et moi. Mais, c’est dans l’ordre protocolaire des choses qu’après une élection que le gouvernement démissionne.

Cela veut dire que je serai dans les jours qui viennent un ancien Premier des ministres. Cela veut aussi dire que nous sommes à l’heure du bilan. Et, je n’ai pas à rougir de mon bilan. Mais, avant d’aborder celui-ci, je voudrais te rappeler les circonstances dans lesquelles j’ai été nommé à ce poste. Tout d’abord, cette nomination, contrairement à celles de mes prédécesseurs, n’a pas été négociée avec la communauté. La mienne en l’occurrence.

En effet, la nomination de mes prédécesseurs fut le fruit d’un marchandage politico-communautaire. C’était un accord donnant-donnant qui devait aboutir à un autre gagnant-gagnant. Il fallait soutenir le chef moyennant la nomination d’un des nôtres au poste de Premier des ministres. Nommés comme un objet, mes prédécesseurs avaient une marge de manouvre extrêmement limitée. C’est la raison pour laquelle ils n’ont été que l’ombre d’eux-mêmes.

En ce qui me concerne, j’ai négocié personnellement et âprement ma nomination. Même si la communauté a joué la carte de l’opportunisme en donnant l’impression qu’elle était pour quelque chose dans cette nomination, ni mon patron encore moins moi n’avons prêté le flanc. Nous avons ignoré les opportunistes et autres prétendus faiseurs de roi pour afficher notre indépendance totale et entière dans notre collaboration.

Dès le départ, ma mission était très claire. Elle s’articulait autour de trois grands axes : la réorganisation du secteur minier, avec en toile de fond l’intégration et l’insertion de nouveaux partenaires et du coup l’augmentation des recettes issues de ce secteur. Deuxièmement, la restauration de l’autorité de l’Etat. Enfin, le troisième était intimement lié au deuxième. Il s’agissait de la réorganisation du système politique pour remettre le compteur de mandat présidentiel à zéro et permettre ainsi à mon patron d’être le premier président de la 4ème République. De mon côté, le contrat a été exécuté à 100%.

Quant à mon patron, il devait me laisser les mains libres pour conduire ma mission à bon port. A quelques exceptions près, il a aussi honoré sa part de contrat. L’exception qui confirme la règle fut cet affront qu’une ministre a tenté de me faire et qui a été vite rappelée à l’ordre. A part ce malheureux malentendu, j’ai été incontestablement incontesté.

Toute chose ayant une fin, ma mission ne saurait échapper à la règle. Or, pour toi qui connais bien les religions, je ne t’apprends rien en te disant que lorsqu’un messager a rempli sa mission il doit tirer sa révérence. Au figuré ou au propre. C’est autant dire que, ma mission étant terminée, et sauf miracle, je devrais céder ma place à un autre. Lequel aura, lui aussi, d’autres missions. Et, comme tu peux l’imaginer, les prétendants ne manquent pas.

Seul le pouvoir divin étant éternel, quitter mes fonctions ne me posent pas problème. Mais, le faire dans le contexte actuel me rend plus que triste. Et pour cause, la mémoire collective ne retient d’un dirigeant que les derniers actes posés. Or, les derniers évènements dans mon pays ne sont pas ceux que je souhaitais que cette mémoire collective retienne de mon passage au gouvernement. Tu as sans doute dû apprendre qu’un troisième prisonnier politique vient de rendre l’âme en prison, en seulement un mois ! Même s’il est décédé à l’hôpital, c’est en détention que Roger Bamba a perdu la vie sans même savoir de quoi on l’accuse puisque n’y ayant pas eu l’occasion d’être jugé et donc se défendre, de même que les deux premières victimes :  Thierno Ibrahima Sow et Mamadou Lamarana Diallo.

Depuis, des articles tendancieux, répétant un extrait d’un discours que j’ai prononcé après ma nomination, ont été écrits par la presse locale. Dans cet extrait, je disais préférer l’ordre à la loi. Ce discours a été volontairement détourné de son contexte pour dire ce qu’on veut entendre. Franchement, quitter mes fonctions ne me fait pas beaucoup de peine. Mais, que ce soit dans ce contexte, je le ferai la mort dans l’âme.

S’il est vrai que l’opinion publique ne retiendrait globalement que le côté sombre de mon passage au gouvernement, mes collaborateurs directs eux ont une opinion tout à fait contraire. Tous me témoignent leur reconnaissance. La raison de cette unanimité n’est pas à chercher loin. J’ai appliqué les conseils de Woody Allen qui dit « Dans votre ascension professionnelle, soyez toujours très gentil pour ceux que vous dépassez en montant. Vous les retrouverez au même endroit en redescendant ». Je savais qu’un jour je devais descendre. Et ce jour est arrivé.

Dans l’immédiat, je ne sais pas ce que je vais faire. D’autant plus que, dans l’euphorie, j’ai fusionné mon parti avec celui de mon patron. Ou plutôt son parti a avalé le mien. Car, et par définition, une fusion, c’est quand chacun renonce à une partie de soi pour former une union. Dans le cas de figure, c’est un qui a tout simplement dévoré l’autre. Je crois que je regretterais amèrement cette décision. Mais, il est encore trop tôt de parler de regret.

A moins qu’un miracle se produise, je devrais te rejoindre juste après m’être débarrassé de mes lourdes fonctions. Pour faire un bilan médial et de prendre du recul. Ou plus exactement reculer pour mieux sauter.

A bientôt !

Ton ami, le futur ex Premier de tous les ministres,

Habib Yembering Diallo joignable au 664 27 27 47

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