Détention d’opposants, cas du journaliste Amadou Diouldé : Kaly Diallo à Guineematin

Mamadou Kaly Diallo de la Baïonnette intelligente » et de la Plateforme des jeunes leaders de l’axe pour la démocratie et le développement (PJDD)
Mamadou Kaly Diallo de la Baïonnette intelligente » et de la Plateforme des jeunes leaders de l’axe pour la démocratie et le développement (PJDD)

Activiste de la société civile et chargé des relations entre le programme « Démocratie Sans Violence/la Baïonnette intelligente » et la Plateforme des jeunes leaders de l’axe pour la démocratie et le développement (PJDD), Mamadou Kaly Diallo, observe avec beaucoup d’attention la situation des droits de l’homme en Guinée. Un sujet qui lui tient à cœur et qu’il a longuement abordé dans un entretien accordé à Guineematin.com, ce vendredi 12 mars 2021. Il a donné son regard sur la situation des détenus politiques, l’emprisonnement du journaliste Amadou Diouldé Diallo ou encore la situation des relations civilo-militaires en Guinée.

Décryptage !

Guineematin.com : quel est votre regard aujourd’hui sur la situation des droits de l’homme  en Guinée ?

Mamadou Kaly Diallo : la question des droits de l’homme est parfois comme l’horizon qui s’assombrit. Parfois, vous avez l’impression que vous avancez et tout d’un coup, vous retombez. Alors, la situation des droits de l’homme actuellement en Guinée, vous le savez bien, elle est sérieusement menacée. Parce qu’il y a beaucoup de récurrence de violences des droits de l’homme. En matière de droits de l’homme d’ailleurs, on le dit souvent, la forme commande le fond. Vous avez vu depuis un bon moment, comment les citoyens guinéens sont interpellés en violation des règles et procédures édictées en la matière. Et qui dit respect des droits de l’homme, dit le respect strict du droit, des règles et principes qui fondent l’Etat de droit.

Or, depuis un bon moment, il y a non seulement beaucoup de restrictions liées à la pandémie de Covid-19 dans notre pays, mais aussi la liberté d’expression, la liberté d’opinion est sérieusement menacée. Vous n’êtes pas sans savoir que la Guinée est régie par une loi qui dépénalise les délits de presse en République de Guinée, la loi L002. Cela veut dire que quand un citoyen est poursuivi pour une infraction commise par voie de presse, il ne doit en aucun cas faire la prison. Mais aujourd’hui, vous avez des journalistes qui sont en prison, en violation de la loi L002. Ça c’est un premier aspect.

L’autre aspect, c’est que vous avez suivi depuis un bon moment que la liberté de manifester est sérieusement menacée en République de Guinée. Alors que ce sont des fers de lance de toute démocratie. On ne peut pas parler de respect des droits de l’homme quand les principes ne s’exercent pas. Et il est du devoir de l’État de garantir le libre exercice de la liberté publique, des droits fondamentaux et surtout de promouvoir, de protéger les droits de l’homme. Alors aujourd’hui,  disons tout simplement qu’il y a une violation systématique des droits de l’homme en République de Guinée.

Guineematin.com : plusieurs centaines de personnes, dont des responsables et des militants de l’opposition arrêtés lors des violences postélectorales d’octobre 2020, sont toujours détenus sans jugement à la Maison centrale de Conakry. Comment percevez-vous cette situation ?

Mamadou Kaly Diallo : tout d’abord, il faut le dire, dans un État démocratique, dans un État de droit, chaque citoyen est justiciable. Cela suppose que chaque citoyen doit être soumis à la loi, de façon impartiale. Maintenant,  la justice ne doit pas être utilisée pour faire mal ou alors pour faire taire les opinions contraires. Alors, le cas de ces citoyens, de ces leaders d’opinion incarcérés depuis le mois d’octobre, pose problème. Vous savez que l’accès à un procès juste et équitable, c’est un droit pour chaque citoyen qui est reproché d’un délit ou d’une infraction donnée. Et cela, c’est tout un processus et ça doit obéir de l’interpellation jusqu’au verdict et l’épuisement de toutes les voies de recours.

Or, en ce qui concerne ces prisonniers d’opinion, vous n’êtes pas sans savoir qu’il  y a eu un refus des autorités de laisser leurs avocats qui devaient venir de l’étranger d’entrer sur le territoire guinéen. Ce qui porte des soupçons par rapport aux garanties des droits de la défense. Ensuite, vous avez vu le collectif des avocats de la défense qui a suspendu ses activités auprès de leurs clients, parce que tout porte à croire que la justice n’est pas en train d’aller dans le sens du respect des règles et principes qui régissent un procès juste et équitable. Ça c’est un autre aspect. Ensuite, on est en face aujourd’hui à une pandémie, qui a poussé les Nations Unies à appeler depuis l’année dernière, au désengorgement des maisons d’arrêt.

Et vous n’êtes pas sans savoir que la Guinée est confrontée aujourd’hui au surpeuplement carcéral. Ça pose une problématique. Ces détenus-là, beaucoup d’entre eux peuvent avoir suffisamment de garanties pour bénéficier d’une liberté provisoire. Moi, je pense que la justice doit servir à sanctionner et non pour faire du mal ou pour détruire. En matière de droits de l’homme, même un inculpé bénéficie du principe de présomption d’innocence. Cela veut dire que même quand il est inculpé, il n’est pas reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés. Alors, compte tenu de cette pandémie, beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs été testés positifs, je pense qu’ils doivent bénéficier d’une liberté provisoire jusqu’à ce qu’il y ait les procès. Parce qu’ils ont suffisamment de garanties pour cela.

Guineematin.com : tout à l’heure, vous avez parlé de la détention du célèbre journaliste sportif et historien, Amadou Diouldé Diallo, arrêté il y a deux semaines pour avoir critiqué le président Alpha Condé. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Mamadou Kaly Diallo : par rapport à la situation du doyen Amadou Diouldé, j’ai envie de dire aux citoyens guinéens, particulièrement la corporation journalistique mais aussi tous les Hommes épris de paix, de liberté et de justice, que l’indifférence est la pire des attitudes. Selon la loi, Amadou Diouldé ne doit pas aller en prison. Je pense que quelle que soit la gravité des propos qu’on pourrait lui reprocher, la meilleure manière de le punir, c’est d’être respectueux des lois. Ses propos qui sont incriminés ont été tenus par voie de presse, donc c’est la loi L002 relative à la liberté de la presse qui doit s’appliquer. Et celle-ci dépénalise les délits commis par voie de presse.

Malheureusement, il y a un silence coupable des journalistes. Et je pense que c’est très dangereux. Je pense qu’il est de la responsabilité de la corporation journalistique de dire aux autorités judiciaires : attention, les délits de presse sont dépénalisés, donc il ne doit pas être en prison. Ça y va dans l’intérêt des journalistes, des citoyens mais surtout de l’ancrage démocratique et la consolidation de la liberté de presse chèrement acquise. La liberté d’opinion est l’une des libertés les plus précieuses en matière de droits de l’homme. Il n’y a pas de droits plus importants que d’autres, mais la liberté d’expression est l’une des libertés les plus précieuses. Il est de la responsabilité des journalistes d’alerter et d’agir dans le sens de son respect.

Guineematin.com : le déguerpissement des emprises de la voie publique lancée récemment par le gouvernement à Conakry et dans certaines villes de l’intérieur, suscite également beaucoup de commentaires. En tant qu’activiste des droits de l’homme, comment appréciez-vous cette opération ?

Mamadou Kaly Diallo : c’est encore une fois déplorable. Ce sont des citoyens guinéens qui se sont installés sur le patrimoine de l’Etat avec la bénédiction de l’État. Parce que quand un directeur de l’habitat d’une localité donnée vous délivre un permis de construire ou alors un titre foncier, c’est légal. C’est ce que vous devez avoir pour construire. Bien sûr, quand l’État veut une parcelle sur l’ensemble de son territoire, il peut l’avoir ; mais encore une fois, il y a la manière de le faire. Et malheureusement, cela n’est pas respecté. Il faut dénoncer avec la dernière énergie la violence, la brutalité avec laquelle ces déguerpissements sont en train d’être faits, surtout en violation du code domaniale.

En principe, ces citoyens ont droit à une réparation. Ce sont des citoyens guinéens qui ont droit à la protection de l’État. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit que tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sûreté de la personne. Quand vous avez peur qu’on ne vienne démolir votre concession, ce n’est pas la sécurité, ni la sûreté. Quand vous avez des biens, parfois il n’y a même pas de délais requis qui sont donnés pour vous déguerpir, ce n’est ni la sécurité, ni la sûreté. Alors qu’il est de l’obligation de l’État de protéger les personnes et leurs biens, promouvoir et protéger les droits de l’homme. Et puis œuvrer pour ne pas qu’il y ait entrave à l’exercice de ces droits et libertés. Donc, encore une fois, vivement le respect des droits de l’homme pour que vive la paix, l’unité, l’harmonie et la cohésion entre les citoyens.

Guineematin.com : vous œuvrez aussi dans le cadre de l’amélioration des relations civilo-militaires. Quel est votre constat aujourd’hui dans ce domaine ?

Mamadou Kaly Diallo de la Baïonnette intelligente » et de la Plateforme des jeunes leaders de l’axe pour la démocratie et le développement (PJDD)

Mamadou Kaly Diallo : le Programme Démocratie Sans Violence/la Baïonnette Intelligente, travaille depuis très longtemps dans le cadre de l’amélioration des relations civilo-militaires. Vous savez que ces relations ont été très affectées au sortir des événements douloureux de janvier-février 2007 et des événements du 28 septembre 2009. Le Programme Démocratie Sans Violence, à travers le projet la Baïonnette Intelligente, nous avons entrepris de vulgariser d’abord les textes  qui régissent les principes de maintien d’ordre dans le respect des droits de l’homme, les engagements que l’État guinéen avait pris, et puis la vulgarisation des stratégies de l’ethno-violence  vers les populations civiles. Il y a eu aussi la vulgarisation des conversations et traités qui régissent les principes de maintien d’ordre et qui font la promotion et la protection des droits de l’homme.

Mais le constat, c’est qu’à l’image de beaucoup d’autres institutions, il y a cette problématique de la communication institutionnelle. Or, on dit souvent que qui ne dit rien, consent. Si vous n’avez pas d’interlocuteur à chaque fois qu’il y a des bavures policières, ça devient plus compliqué que si vous avez un interlocuteur. Dans les années 2013-2015, la situation était salutaire parce qu’il y avait un rapprochement, il y avait de la communication. A ce moment-là, nous avions constaté une sorte d’amélioration. On a constaté aussi, lors des multiples formations que nous avons réussi à faire, qu’il y a officiers et des sous-officiers qui sont républicains et qui sont respectueux des droits de l’homme.

Malheureusement, il y a la méconnaissance des textes et l’instrumentalisation politique qui sont là. Donc il reste un travail à abattre dans ce sens pour la vulgarisation des principes républicains des textes. C’est un exercice qui doit être perpétuel à mon avis. Par endroits, on s’est rendu compte que quand il y a manifestation par exemple, il y a ceux qu’on appelle les acteurs de la manifestation : l’autorité civile, les forces de défense de sécurité et les manifestants y compris le comité d’organisation. Aujourd’hui, sur le plan standard en matière des droits de l’homme, on parle même de la gestion démocratique de la foule. Or, il s’est avéré que parfois, même les élus locaux ou les administrateurs territoriaux qui jouissent du droit de l’autorité civile, ne connaissent même pas ce qu’on appelle la réquisition.

Parfois vous voyez que les bavures policières, même si elles sont directement imputables aux forces de défense et de sécurité, mais cela n’exempte pas aussi par ricochet les autorités civiles. Encore une fois, il y a du travail à faire dans ce cadre-là, dans le cadre de la vulgarisation. Parce qu’on n’arrivera pas à un véritable Etat de droit tant que nous ne serons pas respectueux des principes des libertés publiques, les libertés fondamentales. Et tant que nous ne serons pas respectueux de ces libertés fondamentales des droits de l’homme, nous n’arriverons pas à une société stable. Parce que les libertés publiques des droits de l’homme constituent les fondements de la paix, de la justice, de la liberté et du progrès économique et social de toute la nation.

La justice guinéenne doit être le fer de lance du respect de ces libertés publiques. Or, la justice guinéenne aujourd’hui, elle ne répond pas aux attentes des justiciables. Il y a beaucoup d’actes de deux poids deux mesures qui font qu’il y a aujourd’hui une crise de confiance profonde entre les justiciables et la justice. Un travail doit être fait dans ce sens-là. Dans tous les domaines, on peut trouver des hommes vraiment républicains, des magistrats aguerris républicains qui vont redorer l’image de la justice afin qu’on aille à ce véritable Etat de droit sans violence dont nous rêvons.

Interview réalisée par Mohamed DORÉ pour Guineematin.com

Tél. : +224 622 07 93 59

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