Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Une fois n’est pas coutume, je t’écris pour te donner mes nouvelles. Si je me livre à cet exercice plutôt inhabituel c’est que, comme tu peux l’imaginer, la situation est grave. Et ce contrairement à l’apparence. Comme tu le sais, un de mes collègues, membre du gouvernement, a été limogé cette semaine. Par contre, ce que tu ne sais certainement pas ce que j’envie ce collègue pour sa délivrance.

En effet, cher ami, il n’existe pas pire situation que d’être ministre chez nous. Un ministre est un véritable otage dans notre pays. Tout d’abord, otage de celui qui l’a nommé. Otage du clan de ce dernier. Et enfin, otage des parents, amis, connaissances, marabouts, charlatans et escrocs de tout acabit.

Pour illustrer mes propos, lors de mes rares tête-à-tête avec le président, celui-ci m’a posé deux questions qui m’ont indigné et même déstabilisé. La première, il m’a demandé si mon chantier situé au bord de la mer a avancé. La deuxième question concernait mon enfant. Alors que je ne savais même qu’il est au courant de son existence, il m’a demandé s’il va bien loin du pays. Par ces deux questions, j’ai compris que le président connait mes secrets les plus intimes.

Inutile de te dire que le fait de savoir que le premier responsable du pays s’intéresse au petit détail de ma vie a semé le doute et le soupçon entre mes proches et moi. Et, à commencer par mon chauffeur et mon planton. Je pense que le premier joue le rôle de l’espion auprès de moi. Et, le second est mon ravisseur. Moi, son otage. Depuis ma sortie de la présidence, mes rapports avec ces deux personnes ne sont plus les mêmes qu’ils étaient. Et, ils ne seront jamais comme avant.

Mais, peut-être que j’ai tort. Peut-être que le président a ses sources d’information ailleurs. Dans tous les cas, son attitude est digne de celle de dictateurs. S’ils veulent t’intimider, ils te font appel uniquement pour te montrer qu’ils ont « ta situation en main ». Après cet entretien, je me suis demandé pourquoi le président s’intéresse à moi jusqu’au dernier détail. Alors, je me suis rappelé de la mise en garde d’un ami : mes ennemis avaient soufflé au président que j’étais proche d’un opposant. Je crois que par cet entretien, il voulait me dire ceci : « si tu ne cesses pas, je peux non seulement t’exproprier ton chantier mais faire rapatrier ton gosse ». Et son message a été bien reçu.

Mais, il n’y a pas que le président qui me donne des ennuis. Il y a aussi son clan qui pense que je lui dois reconnaissance et par ricochet récompense. Par exemple, la dernière fois, celui qui a été à la base de ma nomination m’a dit qu’un simple préfet, de retour d’un voyage privé à l’étranger, a offert une voiture toute neuve à l’épouse de son patron. Sans doute pour me dire de faire autant. D’autant plus que je revenais de l’étranger. Du coup, lors de ma toute dernière mission à Paris, je suis allé personnellement chez Yves Saint Laurent pour lui acheter un ensemble qui m’a coûté toutes mes petites économies. Malgré tout, quand je lui ai remis ce cadeau, j’ai compris qu’il le sous-estimait largement par rapport à la fameuse voiture offerte par le préfet.

Mais, il n’y a pas que le président et les siens qui me causent de soucis. Il y a aussi les parents, amis et connaissances qui me polluent la vie. Je n’ai plus de vie de famille. Mon bureau est pris d’assaut. Je n’ai même plus le temps de travailler. Quand bien même j’ai mis en place un planning de visite, il y a toujours de visiteurs qui ne veulent rien entendre. La dernière fois, c’est le beau-père de mon beau-père qui s’est fait annoncer. J’ai dérogé à la règle pour le recevoir. Parce que le vieux avait commencé à raconter toute mon histoire devant un auditoire moins intéressé par ma vie que par ma poche.

A la maison, la situation est encore pire. J’ai aménagé une tente devant mon domicile où les gens, venus pour une raison ou pour une autre, attendent à tour de rôle d’être reçus. Je n’ai ni weekend ni jour férié. Tous les jours, du matin au soir, il y a des visiteurs. Chacun avec ses problèmes. Les uns sollicitent une assistance financière. Les autres un emploi pour eux ou pour les leurs.

Dans la foulée, un vieux, venu me demander de l’aider pour prendre son garçon comme gardien à la maison ou planton au bureau, m’a dit qu’il va m’aider pour être maintenu à mon poste. J’ai voulu lui rétorquer que s’il peut aider quelqu’un qu’il commence par son propre fils. D’autres m’ont proposé de faire un sacrifice avec lecture du Coran comme ils l’avaient fait après ma nomination. Mais, ce qu’ils ne savant pas, ce que j’ai été plus que déçu par leur comportement à l’occasion de cette lecture. Lire le livre saint qui a été révélé pendant 23 ans 33 fois en une heure, ce fut ma plus grande déception de ces soi-disant religieux.

Bref, pour te dire la vérité, mon salaire mensuel ne me fait même plus un jour de dépense. Ce qui m’oblige à faire ce que je ne voulais pas. Tu peux imaginer le reste. En réalité, c’est toute la société qui oblige les gens honnêtes à devenir corrompus voire voleurs dans ce pays. C’est pourquoi, j’ai failli dire à celui qui m’a proposé de faire un sacrifice pour rester à mon poste que je fais un sacrifice pour être libéré de ce poste.

Je voudrais donc, en conclusion, te demander conseils et assistance. Faut-il, à ton avis, démissionner ou attendre le prochain remaniement dans l’espoir que la délivrance viendra ? Car, démissionner pose un autre problème. Le chef et les siens considèrent une démission comme une défiance. Si on démission, on ouvre deux fronts : celui du président et de son clan qui vous mettent les bâtons dans les roues. Y compris la confiscation éventuelle du passeport. Et celui de tous ceux qui étaient jaloux et qui me se marrent du démissionnaire. Il est donc préférable d’être limogé pour faire face au second groupe seulement.

Dans l’un ou l’autre cas, je souhaite que tu me reçoives chez toi après mon départ du gouvernement. Si tu es d’accord, je vais œuvrer afin que ce départ soit le plus rapide possible. En attendant, ni ma femme, ni mon premier garçon ne veulent entendre parler de mon départ du gouvernement. Et, c’est justement l’autre aide que je souhaite te demander. Je voudrais que tu interviennes auprès de ma femme pour la persuader d’accepter de tourner la page de Madame l’épouse de Monsieur le ministre.

Attendant ta réponse avec impatience, je te prier de transmettre mes salutations à ton épouse et à tes enfants. Ton ami le futur ancien ministre.

Habib Yembering Diallo

Toute ressemblance avec une réalité n’est que pure coïncidence.

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