Charlotte Daffé à la tête du ministère de la pêche : réaction d’Idrissa Kalo

Nommée le 25 octobre dernier pour diriger le ministère de la pêche, de l’aquaculture et de l’économie maritime, Charlotte Daffé (jusque-là directrice du contrôle interne de Total-Guinée) n’est visiblement pas la personne que les professionnels de pêche souhaitaient voir à la tête de ce département. Beaucoup espéraient l’arrivée de quelqu’un qui connaît ce domaine pour enfin apporter des solutions durables aux nombreux problèmes qui l’assaillent.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com hier, mercredi 17 novembre 2021, Idrissa Kalo, le secrétaire aux relations extérieures, à la communication et à l’information de la fédération nationale de la pêche artisanale de Guinée, a déploré la non prise en compte des avis des professionnels de la pêche dans le choix de leur ministre. Egalement, il a invité la ministre Charlotte Daffé à s’assurer d’avoir les mains libres pour procéder à une restructuration en profondeur de ce département pour mieux organiser les services de son département. Idrissa Kalo a aussi invité la nouvelle ministre à prendre ses précautions pour éviter d’être prise en otage par des cadres qui ne défendent que leurs intérêts personnels.

« On n’est contre personne ; mais, il faut que la ministre ait la main libre pour pouvoir bien travailler. Parce que c’est un secteur très compliqué, complexe et transversal. Donc, si vous n’arrivez pas à toucher certains maux et que vous tombez sur certaines personnes qui ont les mains sales ou qui sont dans certaines malversations, elles peuvent vous induire en erreur. Quand vous êtes nouveaux, chacun viendra se passer pour celui qui peut et connaît tout dans le domaine. Donc, nous nous demandons à madame la ministre de prendre ses précautions et de former son propre cabinet et les différentes directions… Si elle ne le fait pas, le département de la pêche risque de tourner en rond et rien ne changera », a prévenu Idrissa Kalo.

Décryptage !

Guineematin.com : Que pouvez-vous de l’arrivée de Charlotte Daffé à la tête du ministère de la pêche ?

Idrissa Kalo

Idrissa Kalo : Pour répondre à cette question, je voudrais d’abord dire que nous, les professionnels de la pêche, avions interpellé les nouvelles autorités sur la nécessité de faire en sorte que cette fois quelqu’un du secteur de la pêche soit à la tête du département. Malheureusement, nos voix n’ont pas été entendues. Sinon, on a voulu à ce que ça soit comme on a fait aux ministères de la culture, de l’énergie et d’autres. Maintenant, revenant un peu sur votre question, je vous dirai que le secteur de la pêche est un secteur primaire et transversal, en tout cas en termes d’activités et d’alimentation. Donc, on devrait prendre en compte nos préoccupations, mais ça n’a été le cas. Nous restons derrière les autorités tout en leur faisant des propositions de solutions. Il faut dire que c’est une chance pour le département de la pêche d’avoir cette fois une femme comme cheffe. Depuis la création de ce département de la pêche en 1994, il n’y avait jamais eu une femme à sa tête. C’est seulement maintenant, à l’arrivée du CNRD, qu’une femme a été nommée ministre de la pêche. Si une femme vient à la tête du département, mais elle ne connaît pas les réalités du département, il est de notre devoir d’interpeller les autorités du haut niveau. Parce que la ministre a eu la chance de venir il y a deux mois, avant que la signature du plan de pêche ne soit effectuée. Parce que vous savez, le plan de pêche chaque année, les ministres signent le plan qui réunit les différentes problématiques de la pêche. Un plan annuel qui commence du mois de janvier au mois de décembre. Elle est venue trouver que nous sommes vers de l’élaboration de ce plan. A son arrivée donc, je pense que la ministre a demandé à la direction de l’aménagement de la pêcherie de contacter les différents acteurs concernés pour que chacun fasse ses critiques, ses suggestions et approbations avant la signature. Donc, je pense que ça va beaucoup aider la ministre. Mais, si elle trouvait que le plan est déjà signé, le plan s’impose à tout le monde. Et, dans ce cas, on peut évaluer les programmes en cours, il sera très difficile de changer certaines choses dans le plan qui ont été prises comme décisions. Ça c’est une remarque que je devais vous dire et c’est la première des choses dans laquelle la ministre doit s’impliquer.

Guineematin.com : selon vous, que doit faire la nouvelle ministre pour réussir sa mission qui lui est assignée à la tête du ministre de la pêche ?

Idrissa  Kalo : On n’est contre personne, qua ça soit au niveau du cabinet, des différentes directions ou des différents services du département ; mais, il faut que la ministre ait la main libre pour pouvoir bien travailler. Parce que c’est un secteur très compliqué, complexe et transversal. Donc, si vous n’arrivez pas à toucher certains maux et que vous tombez sur certaines personnes qui ont les mains sales ou qui sont dans certaines malversations, elles peuvent vous induire en erreur. Quand vous êtes nouveaux, chacun viendra se passer pour celui qui peut et connait tout dans le domaine. Donc, nous nous demandons à madame la ministre de prendre ses précautions et de former son propre cabinet et les différentes directions, que cela soit de les confirmer ou de les recomposer en toute liberté. Si elle ne le fait pas, le département de la pêche risque de tourner en rond et rien ne changera. Le département a toujours été comme ça. Chacun est accroché à la présidence et ce qui a mis beaucoup de choses en retard dans le secteur de la pêche. Pendant le régime précédent, vous pouviez voir que le président était en contact avec 100 et quelques personnes. Tout le monde peut l’appeler. Donc, le ministre n’avait pas la main libre sur la gestion réelle ou le contrôle des ressources humaines de son département.

Guineematin.com : Qu’est-ce que la nouvelle ministre doit faire pour réduire la pénurie de produits halieutiques dans nos différents marchés ?

Idrissa  Kalo: la ministre doit faire face à la recherche. La direction nationale de recherche halieutique de Boussoura (dans la commune de Matam) doit aussi être au cœur de ses préoccupations. Elle doit être en relation avec les chercheurs pour que les études sur les espèces halieutiques soient régulièrement faites et qu’elles profitent à tout le monde. Ne serait-ce que les espèces qu’on peut commercialiser pour savoir par exemple quel est l’état des poissons que nous pêchons. Il faudrait que madame la ministre mette à la disposition de ce centre de recherche halieutique les moyens nécessaires pour pouvoir faire les études biologiques des espaces que l’on peut notamment commercialiser. Et, ce centre doit avoir ses représentants dans tous les débarcadères, que ce soit de la pêche maritime ou de la pêche continentale.

Au-delà du centre de recherche halieutique, il y a également le centre de surveillance où il faut avoir aussi suffisamment de ressources humaines qualifiées, des moyens de contrôle suffisants et efficaces. Vous avez vu récemment des femmes se plaindre de la pêche des petits poissons. Donc, il y a des navires de pêche industrielle qui utilisent des petits maillages pour pêcher les fretins. Et, cela doit être contrôlé. Il faut également veiller au fonctionnement de ce centre de surveillance, parce que des moyens sont investis là. Il y a de grands projets plus les moyens de l’Etat qui appuient ce centre. Donc, on doit veiller à ce que tous les moyens matériels et financiers et les ressources humaines qui sont mis dans ce secteur soient pour le fonctionnement correct du centre pour que tous les acteurs de la pêche industrielle ou artisanale puissent bénéficier des efforts ; et, qu’après tout, les populations ne souffrent pas d’un problème de mauvaise gestion des ressources naturelles halieutiques. En ce qui concerne par exemple les embarcations, le centre de surveillance doit jouer pleinement son rôle qui est notamment de vérifier et de maintenir l’état des embarcations.

Guineematin.com : Que dire du service de contrôle qualité des produits halieutiques de notre pays, quand on sait que de nombreux citoyens se plaignent parfois de l’état des poissons acheminés dans nos différents marchés ?

Idrissa  Kalo : je pense qu’il faut mettre des moyens de ce côté, parce que ce service a fait ses preuves. Grâce à ce service, la Guinée est techniquement sortie de la liste, ou bien du groupe des pays non coopérant avec l’Union européenne. En termes de marché et de façon  technique, l’Union européenne est ouverte désormais à la Guinée. Mais, comme c’est une décision politique que l’Union européenne avait prise contre la Guinée, en lui fermant les portes de son marché des produits halieutiques, la pratique en termes de l’exercice du commerce est en train de retarder. Il faut donc du lobbying là-dessus pour que cette décision politique de l’Union européenne soit levée. Parce que nous voyons que nos partenaires de l’Union européenne sont en train de faire le deux poids deux mesures. Quand vous allez en Guinée Bissau, au Sénégal ou en Gambie, vous voyez l’état de leurs débarcadères ou des centres de traitement de poissons, vous ne pouvez pas dire qu’ils dépassent la Guinée. Mais, pourquoi prendre cette politique contre la Guinée ? Les auditeurs de l’Union européenne sont venus en Guinée pour auditer la Guinée et le résultat qu’ils ont déclaré était satisfaisant. Donc, techniquement c’est bon ; mais, politiquement, on ne peut exporter nos poissons vers le marché de l’Union européenne. Donc, la nouvelle ministre doit se pencher sur tout cela et chercher à  savoir comment les populations pourront avoir des poissons de bonne qualité. En plus de ça, il y a un aspect sur lequel madame la ministre doit particulièrement travailler. Il s’agit de l’approvisionnement du poisson. Les sociétés qui exportent les poissons, avant qu’elles  n’exportent le poisson vers n’importe quel coin du monde, il faut savoir si elles sont légales, normales et approvisionnent les populations guinéennes en poissons de quantité  suffisante et en bonne qualité. Parce qu’avant tout, ce sont elles la priorité. Il faut savoir combien de tonnes de poissons elles offrent aux populations guinéennes avant de penser à d’autres ailleurs. Il faut s’assurer que les marchés guinéens sont d’abord inondés de poissons avant d’aller ailleurs. Et, pour cela, il faut former des commissions pour veiller à l’approvisionnement correct et régulier des marchés en quantité suffisante de poissons de bonne qualité. Pour faciliter la commercialisation de ces produits, il faut créer des marchés de vente de poissons dans toutes les 5 communes et préfectures, ainsi que dans les régions. En plus de ça, exiger l’approvisionnement de tous ces marchés communaux, préfectoraux et régionaux en poissons. Puisque c’est le moment de transition, il faut mettre de bonnes bases, veiller surtout à ce que les femmes vendeuses de poissons qui les gagnent à bas prix, ne revendent pas ces poissons dans les différents marchés à des prix exorbitants.

Guineematin.com : que doit-on faire en ce qui concerne les conflits entre les acteurs de la pêche industrielle et ceux de la pêche artisanale ?

Idrissa  Kalo : les pêcheurs industriels viennent pêcher dans les zones des pêcheurs artisanaux. Nous voulons que cela cesse. Qu’on nous dise qui doit gérer ces conflits. Parce qu’il y a la gendarmerie maritime, la marine nationale, le CNSP, l’agence de navigation maritime, la préfecture maritime, la direction de la pêche maritime et il y a la marine marchande. Mais, qui doit réellement s’occuper de ces problèmes entre les différents acteurs de pêche. Parmi ces problèmes, il y en a qui sont d’ordre pénal et d’autres civile. Qui doit contrôler les papiers des navires ? Il y a trop de problèmes dans ce secteur. La pêche a besoin d’être réorganisée. Il y a aujourd’hui une multitude de directions qui n’ont pas de sens. Certaines ne valent pas d’être des directions, il faut créer à leur place des divisions pour gérer l’ensemble de ces problèmes. C’est en cela que nous attirons l’attention de madame la ministre.

Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com

Tel: +224622919225

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