Thierno Monénembo : « la situation est pire que celle que nous vivions dans les années 1960 »

Malgré l’existence de la pandémie du coronavirus, le front politique n’est pas mis en berne en Guinée d’autant plus que le président Alpha Condé a déjà convoqué la première session inaugurale de la nouvelle Assemblée Nationale. Au même moment, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) agite le chiffon rouge en annonçant la reprise de ses manifestations. C’est dans cette situation que l’écrivain guinéen à la réputation mondiale, Thierno Saidou Diallo, plus connu sous le nom de Thierno Mo Nénembo, a accordé une interview exclusive au correspondant de Guineematin.com basé à Mamou.

L’auteur de la célèbre œuvre « Les Crapauds-brousse », comme à son habitude, dresse un tableau sombre de la situation de notre pays, de l’accession aux indépendances à la période actuelle. Avec Thierno Mo Nénembo, détenteur de plusieurs prix littéraires, il a également été question du coronavirus, de la situation du système éducatif guinéen et de bien d’autres questions.

Guineematin.com : quelle lecture faites-vous de la situation sociopolitique actuelle de notre pays ?

Thierno Monénembo : la situation de notre pays est déplorable, elle l’a toujours été depuis 1958. Nous n’avons jamais gagné ce qu’on espérait, c’est-à-dire le minimum de progrès, le minimum de cohésion sociale, le minimum de démocratie. Ceux qui ont dirigé ce pays l’ont toujours conduit dans le chaos, dans le gouffre total. Aujourd’hui, Alpha Condé occupe tout le pouvoir en Guinée, toutes les institutions sont caporalisées, toutes les institutions sont pour lui. C’est l’État personnel, l’État privatisé. La Guinée, bien gérée, peut nourrir toute l’Afrique de l’Ouest. Les jeunes guinéens sont aujourd’hui suicidaires et téméraires à cause de la faiblesse de ces dirigeants insouciants qui nous gouvernent, des dirigeants à la merde qui nous foutent à la merde. Il faut les foutre dehors.

Guineematin.com : que dire de la pandémie coronavirus qui se propage aujourd’hui de façon inquiétante dans notre pays ?

Thierno Monénembo : je demande aux citoyens de mon pays d’appliquer les mesures préventives édictées par le Ministère de la Santé : laver toujours les mains, éviter les regroupements en grande masse dans les marchés, dans les rues, porter les masques…

Guineematin.com: le système éducatif guinéen se porte aujourd’hui très mal avec des grèves à répétition et un gouvernement qui fait la sourde oreille face à la revendication des enseignants. Le niveau des élèves est très bas avec des résultats médiocres au fil des ans. Qu’en dites-vous ?

Thierno Monénembo : l’éducation n’a jamais été une priorité de nos gouvernants depuis l’indépendance. Les gens là se méfient de l’éducation, se méfient du livre. Le livre est dangereux, le livre fait réfléchir. Et les gens là n’ont pas besoin des gens qui réfléchissent, ils ont besoin des gens qui applaudissent, des gens qui chantent et qui dansent. La culture et la réflexion sont complètement marginalisées. L’éducation est le parent pauvre des gouvernements guinéens depuis l’indépendance.

Guineematin.com : comment Thierno Monénembo est-il venu à l’écriture alors qu’il est Dr en Biochimie ?

Thierno Monénembo : les plus grands écrivains sont des Scientifiques et Techniques. Rares sont les hommes de lettres qui écrivent : Ahmadou Kourouma de la Côté d’Ivoire est un mathématicien, Camara Laye est un Ingénieur en Mécanique, William Sassine est un Mathématicien, Mohamed Alioune Fantouré est un Economiste.

Guineematin.com: qu’est ce qui vous a motivé à prendre la plume ?

Thierno Monénembo : les contraintes de l’exil surtout, mais aussi un besoin psychologique. Dans les années 1960, on pendait et torturait les gens en Guinée. Alors, ces situations dramatiques m’ont poussé à écrire pour dénoncer quand je me suis retrouvé en France. Et c’était le seul moyen pour moi de me libérer du poids de l’exil.

Guineematin.com : peut-on faire une connexion entre l’Afrique des indépendances et celle d’aujourd’hui ?

Thierno Monénembo : c’est la même Afrique, rien n’a changé. Au contraire, les choses ont dégénéré. Je pense que la situation d’aujourd’hui est pire que celle que nous vivions dans les années 1960 dans tous les domaines. Le niveau du système éducatif a baissé. La Guinée d’aujourd’hui est plus pauvre que la Guinée d’hier.

Guineematin.com: la trahison de l’élite n’est-elle pas cet obstacle pour le développement de la Guinée ?

Thierno Monénembo : oui bien sûr. Mais moi, je parlerai plutôt d’immaturité que de la trahison…

Guineematin.com : quel message avez-vous à l’endroit des guinéens, et plus particulièrement à l’endroit de la jeunesse de notre pays, victime de tout ?

Thierno Monénembo : à toutes les guinéennes et à tous les guinéens, je dirai de s’unir, de vivre en famille à limage de leurs ancêtres. C’est plus important que le diamant, l’or, la bauxite et le fer. Tous les Guinéens sont des frères. C’est l’État Guinéen qui est nuisible et qui oppose les Guinéens uniquement pour un intérêt personnel. Evitons de tomber dans leurs filets de division. Aux jeunes de mon pays de s’instruire, de se former, d’accepter d’aller à la quête du savoir, de se moderniser. Nous sommes en 2020, nous devons agir comme un homme de 2020.

Interview réalisée à Mamou par Boubacar Ramadan Barry pour Guineematin.com

Tel:625698919/657343939

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