Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

L’attente aura été longue. Elle fut palpitante et angoissante. Surtout quand les médias ont annoncé la démission d’un des nôtres qui était au service du Créateur loin du pays. Dans ma phobie d’être remplacé, j’ai tout de suite fait un lien entre cette démission et mon remplacement. Même si, il faut le reconnaitre, le fait que, jamais par le passé, ce département n’a été dirigé par un homme d’une autre confession, était plutôt rassurant.

Finalement la délivrance est intervenue au début de la semaine. Avec à la clé ma confirmation. Qui est aussi une promotion. Parce que, désormais je suis élevé au rang de ministre. Mais quel ministre ! Ministre sous haute surveillance parce que rattaché auprès du grand chef. Là où tous les ministres craignent d’y aller.

Qu’à cela ne tienne, l’essentiel est fait. Je n’ai pas mouillé le maillot pour rien. Ou plus exactement, pour contextualiser et personnaliser mon cas, je n’ai pas mouillé le turban pour rien.  Je l’ai fait parfois au prix de ma vie. Comme tu le sais, dans une localité de la haute banlieue de la capitale, des voisins m’ont accusé d’incitation à la violence contre eux. Ce qui était aux antipodes de la réalité. Même si je dois avouer que je n’ai ménagé aucun effort, à la fois avouable et inavouable, pour que mon bienfaiteur obtienne le premier mandat de la quatrième République que nos détracteurs qualifient cyniquement de troisième mandat.

Je suis resté donc dans l’équipe. Avec une promotion. Ma petite déception est que je change de patron. Avec mon ancien chef, j’étais plutôt en l’aise.  En occupant le domaine de culte, j’étais respecté par lui. Et plus généralement par toute l’équipe gouvernementale. Car tu n’es pas sans savoir que la religion reste un grand mystère pour les grands cadres.

Mais ce qui risque de se passer c’est que, mon nouveau chef ne soit pas facilement impressionnable par quoi que ce soit. Surtout pas par la religion. Quelqu’un me faisait remarquer récemment qu’il appartient à un courant dont la religion est le cadet des soucis. Un autre m’a rassuré que le rattachement de mon département à son cabinet est la preuve, s’il en était besoin, de son attachement lui-même à mon domaine. Mais un troisième a martelé que ce rattachement entre dans le cadre de sa nouvelle politique de tout contrôler. Cet interlocuteur a même ajouté que c’est son homologue turc qui l’a conseillé de tout contrôler en particulier le domaine de culte.

Si ces allégations sont vraies, alors le plus difficile commence maintenant. Comme je l’ai expliqué  plus haut, si hier mon chef me respectait parce que j’avais une certaine influence sur lui, ce ne sera pas le cas aujourd’hui. Je n’ai aucun moyen d’influencer, à plus forte raison, d’intimider un octogénaire. Et de surcroît un octogénaire qui a un passé Rouge, dit-on. J’espère que tu comprends à quoi je fais allusion. Mais je souhaite que tout cela reste strictement entre nous.

En toute honnêteté et en toute sincérité, je n’arrive pas à cerner la décision de mettre mon département sous surveillance. D’autant plus que, comme je l’ai expliqué, contrairement à son prédécesseur, le patron ne croit pas trop à ce genre de choses. Je me vois mal demain faire ce que certains de mes prédécesseurs ont fait hier. Te souviens-tu des années de la fin de règne de l’autre. Le département que j’occupe aujourd’hui organisait à tout bout de champ des cérémonies de lecture du saint coran pour la « santé du chef de l’Etat ».

Je pense que même s’il existe des similitudes entre les deux contextes, et contrairement à l’ancien, l’actuel ne fera jamais cela. Non pas qu’il ne souhaite pas vivre longtemps. Mais il n’y croit pas trop. Et je m’en réjouis. Car c’est un exercice auquel je ne souhaite pas être soumis.

Pour terminer, et c’est véritablement l’objet de la ma lettre, je souhaite avoir ton avis sur l’attitude à adopter dans mes nouvelles fonctions. Selon toi, faut-il anticiper pour prendre des initiatives ou faut-il attendre des décisions voire des injonctions de mon nouveau chef ? Franchement cette promotion est un véritable cadeau empoisonné. Je ne sais pas comment m’y prendre au risque de fâcher mon bienfaiteur. C’est pourquoi, encore une fois, j’ai besoin de tes réflexions pertinentes pour me dire dans quelle direction je dois aller. En attendant ta réponde, je te prie de garder cette correspondance loin des regards des tiens.

Ton ami, le nouveau ministre.

Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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