Conakry : voici pourquoi l’école primaire Matam 2 est toujours fermée

Amara Soumah, journaliste et membre de la famille qui revendique la propriété

L’année scolaire 2021-2022 a commencé avec une mauvaise nouvelle pour les élèves de l’école primaire Matam 2. En effet, cet établissement scolaire a été fermé peu avant la réouverture des classes. Cette fermeture fait suite à un litige domanial opposant une famille (qui réclame la paternité du domaine sur lequel est construite cette école) et les autorités communales de Matam. Pour en savoir plus sur ce dossier, un journaliste de Guineematin.com est allé à la rencontre des parties en conflit.

Amara Soumah, journaliste et membre de la famille qui revendique la propriété

Amara Soumah, journaliste au quotidien national « Horoya », est membre de la famille qui réclame la paternité du domaine abritant cette école. Selon lui, son grand-père, Sékou Koundeto Touré, a acquis ce terrain bien avant l’accession de la Guinée à l’indépendance. C’est le régime de Sékou Touré qui le lui aurait retiré de force pour y construire une permanence. « Cette parcelle lui a été octroyée par Almamy Kala depuis 1935, donc bien avant l’indépendance. Et au temps de la révolution (sous le règne de Sékou Touré, ndlr), les autorités sont venues planter le piquet du drapeau sur cette partie de la concession pour en faire un lieu de réunion. Ils tenaient ici des réunions quotidiennes. On n’avait pas de force, ni de moyens pour nous opposer à ça.

Au fil du temps, ils ont construit une permanence ici. Donc, jusqu’à la fin de la première République, c’est une permanence qui était là. A l’avènement de la deuxième République, les autorités ont demandé à ce qu’on retourne les permanences aux ayant-droit, c’est-à-dire les propriétaires des domaines les abritant. Mais à l’époque, le tuteur de la famille n’était pas là, il était en aventure et nous, nous étions très petits. Donc, il n’y avait personne pour suivre le dossier. La permanence est restée très longtemps fermée ici. Finalement, le chef de quartier à l’époque, feu Koléya Bangoura, est venu demander à ma maman de lui passer les clés de la permanence, comme c’était fermé, pour en faire un lieu de révision pour les élèves.

Ma maman a dit comme c’est pour faire simplement réviser les élèves, je vous passe les clés. Après le passage de ces clés, beaucoup de temps s’est écoulé. Entretemps, comme les écoles de Matam Lido 1 et Matam Lido 2 étaient en réfection, le chef de quartier a jugé nécessaire d’envoyer les élèves étudier ici pour un moment jusqu’à ce qu’ils finissent les travaux, après les élèves vont retourner dans les écoles d’origine. Mais, depuis que ces élèves sont venus, ils ne sont pas répartis. Voilà comment cette partie est devenue école publique.  Ce sont ces élèves qui ont quitté ces deux établissements, qui étaient en réfection, qui sont venus rester sans repartir. A partir de là, c’est devenu école primaire Matam 2 », a-t-il expliqué.

Notre confrère ajoute que lorsque le CNDD (la junte militaire qui a pris le pouvoir après la mort du président Lansana Conté) est venu, il a été aussi demandé de restituer les permanences aux ayant-droit. « Mais jusque-là, il n’y avait pas quelqu’un pour poursuivre ce dossier. Moi, j’étais alors étudiant, je ne pouvais pas suivre ce genre de dossiers. Donc, c’est resté comme ça pendant longtemps. Les autorités avaient même mis la mention patrimoine bâti sur le mur. C’est quand mon oncle est revenu de Paris qu’il a relancé le dossier. Il a saisi les autorités compétentes, il est parti avec tous les papiers légaux pour leur montrer que le domaine appartient à cette famille Touré.  Parce que ça nous a été arraché de force par la révolution », a dit Amara Soumah.

Amara Soumah, journaliste et membre de la famille qui revendique la propriété

Après avoir été déboutée en première instance, la famille a saisi la Cour d’appel de Conakry. La juridiction a décidé de mettre l’école sous scellé en attendant la fin de l’examen du dossier. « Alors que l’affaire était pendante au niveau du tribunal, c’est en ce moment qu’on a vu des gens, accompagnés par des policiers, qui sont venus rénover l’école. Je suis allé à la mairie, j’ai informé l’administrateur communal de cet état de fait. Ce dernier m’a dit que ces travaux de rénovation ont été financés par l’Unicef. Je lui ai demandé par la voie de qui, il m’a dit que c’est la commune qui a écrit à l’Unicef pour dire qu’il y a des écoles qui se trouvent dans des mauvaises conditions. Donc, il faut les mettre dans des bonnes conditions.

J’ai compris que la commune n’a pas dit la vérité à l’Unicef pour leur dire qu’il y a une famille qui revendique cette école. Ils n’ont pas dit la bonne version à l’Unicef. Aujourd’hui, l’affaire est pendante au niveau de la justice. Si vous voyez que l’école est scellée, c’est par la voie du procureur général de la Cour d’appel de Conakry. On a épuisé toutes les voies de recours en première instance, l’affaire est au niveau de la Cour d’appel de Conakry en ce moment. Nous demandons aux autorités d’être de bonne foi, en rendant à César ce qui appartient à César. Nous leur demandons de nous rétablir dans nos droits. C’est l’Etat qui nous a ôté notre droit de propriété, nous leur demandons de nous restituer notre droit », a lancé le jeune homme.

Sorya Bangoura, conseiller communal et président de la commission juridique et sécurité

De son côté, Sorya Bangoura, président de la commission juridique et sécurité de la mairie de Matam, a une autre version. Pour lui, c’est la faiblesse de l’Etat qui fait que cette école est aujourd’hui fermée. « Ce que je sais de cette école, elle n’a jamais appartenu à cette famille qui revendique sa paternité. Et je suis étonné qu’elle soit fermée. Parce que je ne pouvais pas imaginer qu’un édifice d’utilité publique puisse être fermé par une famille. Je voudrais vous signaler que cette école abrite 984 élèves. Moi, je suis né ici, j’ai grandi ici, bientôt je vais avoir mes 70 ans. Cet édifice a été construit par l’effort public, au temps de la révolution. Quand les militaires sont venus au pouvoir, en 1984, tous les biens appartenant aux citoyens ont été restitués par les autorités de l’époque. Nous le savons très bien. Mais personne n’a réclamé la paternité de cette école.

Je sais que déjà, le sol appartient à l’Etat, à plus forte raison une école qui depuis plus de 35 ans, bientôt 40 ans, existe. Ça a été une permanence, ça a été des ateliers de formation et mon père, feu Elhadj Koléya Bangoura, en a fait une école. Maintenant, qu’une famille se lève subitement pour dire l’école lui appartient, c’est parce qu’il n’y a pas d’autorité. S’il y avait de l’autorité, on ne pouvait pas la fermer. Parce que le maire peut prendre une décision et l’ouvrir pour cause d’utilité publique. Maintenant, si les gens ont des documents prouvant que ça leur appartient, l’Etat va les recaser ailleurs. Mais on ne peut pas mettre les enfants dehors. Donc, j’accuse les autorités communales, dont je fais partie. Nous avons failli à notre devoir, nous avons été incapables et incompétents », a laissé entendre Sorya Bangoura.

Saïdou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 620 589 527/664 413 227

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