Crise politique, excision, mariage précoce… Oustaz Ramadan à Guineematin

La crise sociopolitique guinéenne, née de la volonté du président Alpha Condé de doter le pays d’une nouvelle constitution, qui lui ouvrirait la voie à un 3ème mandat, ne laisse personne indifférent. Toutefois, des interrogations subsistent quant au rôle dévolu aux leaders religieux, notamment les imams, sur cette question qui divise et qui menace la paix. Pour parler de ce sujet et d’autres questions relatives à l’excision et au mariage précoce, Guineematin.com a donné la parole hier mercredi, 04 mars 2020, à Oustaz Mohamed Ramadan Bah, chroniqueur islamique et imam à Koloma.

Guineemtin.com : nous parlons aujourd’hui d’un thème d’actualité, qui est l’immixtion des religieux dans la politique en Guinée. Selon vous, est-ce que les leaders religieux, qui sont des autorités morales, doivent parler de la politique ?

Mohamed Ramadan Bah : c’est un sujet d’actualité concernant les religieux. Tout leader religieux, surtout les imams, doit être neutre en ce qui concerne la politique. Parce que quand on est imam, on est imam dans une mosquée. Les fidèles qui viennent à la mosquée ne sont pas d’un seul parti. Ils viennent peut-être des différents partis politiques. Donc, une fois que l’imam affiche une position, automatiquement, les fidèles qui ne sont pas de cette position ou ne sont pas de ce parti vont faire passer cet imam de partisan, de militant d’un parti politique. Donc, ça va causer des problèmes dans la mosquée. L’imam n’est pas interdit d’aller voter. Mais, en ce qui concerne ces campagnes, ces meetings, les imams doivent les éviter.

L’imam doit éviter de parler de la politique dans la mosquée. Cela va contribuer à diviser la communauté, ça va diviser les fidèles qui viennent pour prier. Donc, on ne doit pas parler de la politique dans les lieux de culte. C’est ce que même le Secrétaire Général des affaires religieuses conseille à tous les imams. C’est d’éviter de parler de la politique dans les lieux de culte. Mais, cela ne veut pas dire que l’imam ne doit pas donner des conseils, ne doit pas prêcher la bonne nouvelle, ne doit pas recommander le bien et condamner le blâmable. Ça c’est le travail de l’imam. L’imam doit donner des conseils dans le sens de recommander le bien et de condamner le blâmable.

Guineematin.com : quand il y a une crise politique, comme celle que vit la Guinée, est-ce que l’imam doit avoir le courage de dire à celui qui en est à l’origine, même si c’est le président de la République, qu’il n’a pas raison ?

Mohamed Ramadan Bah : ici, nous avons une autorité, nous avons le Secrétariat Général des affaires religieuses qui est l’autorité, si vous voulez, supérieure de tous les dirigeants religieux. Nous avons le Conseil Islamique qui est là. Donc, le Conseil Islamique doit jouer son rôle. Normalement, le Conseil Islamique doit appeler ces gens et du côté du gouvernement et du côté de l’opposition et leur dire la vérité. Qu’est-ce qui ne va pas et résoudre une fois pour toute ce problème ou ces problèmes. Donc, normalement, c’est le Conseil Islamique qui doit résoudre ce problème. Maintenant, les imams ou les religieux, même les non musulmans, viennent appuyer ce conseil islamique ou le secrétaire général des affaires religieuses. L’imam ne doit dire que la vérité, l’imam ne doit pas mentir et il ne doit pas prendre position. Je suis de tel parti ou de tel parti. NON. Mais, quand quelque chose ne va pas dans un pays, l’imam ne doit dire que la vérité. C’est ça qui doit être la position de l’imam.

Guineematin.com : selon vous c’est quoi la vérité par rapport à la crise actuelle ? On sait que cette crise est partie de la volonté du Président Alpha Condé de changer la constitution, ce qui lui ouvrirait la voie à un troisième mandat. Selon vous est-ce que les imams doivent avoir le courage de dire à Alpha Condé qu’il ne doit pas aller dans ce sens ? 

Mohamed Ramadan Bah : ce ne sont pas les imams qui doivent prendre cette position. C’est ce que je venais de dire. C’est le conseil islamique, ça c’est le conseil supérieur qui coiffe tous les imams. C’est ce Conseil-là qui doit prendre position. Est-ce que c’est bon ou pas bon ? Est-ce normal ou anormal ? C’est le Conseil qui doit prendre cette décision. C’est une référence. Mais, comme je venais de le dire à l’entame, les imams ne doivent pas prendre position. Ils sont coiffés par ce Conseil Islamique (CI). Donc, la balle revient à ce Conseil de dire qu’est-ce que les gens doivent faire. C’est à eux, ce n’est pas aux imams de qui sont coiffés par le CI.

Guineematin.com : Aujourd’hui, ce projet de changement de constitution porte à polémique et menace gravement la stabilité et la paix dans le pays. Face à ce silence du Conseil Islamique, ne pensez-vous pas que les leaders religieux doivent sortir de leur silence et prendre position puisque le Conseil Islamique est silencieux face cette situation ? 

Mohamed Ramadan Bah : vous savez, les imams sont membres de ce Conseil. Les imams sont coiffés par ce conseil islamique. Je crois que ce Conseil, le plus souvent, joue son rôle. Souvent, ce n’est pas en public mais c’est en coulisse. Quand il y a des problèmes et que l’on traite en publique peut-être ça peut poser problème. Mais en coulisse, le conseil joue son rôle et prodigue des conseils et en toute sincérité dire ce qui doit être fait. Le plus souvent, le conseil le fait. Mais je ne sais pas pour cette fois-ci est-ce qu’il faut aller dans ce sens-là ou jusqu’à présent si rien n’est fait. Mais, je crois en tout cas le conseil, même s’il ne le dévoile pas, mais en coulisse, ils sont en train de faire quelque chose pour rapprocher les positions, pour qu’il y ait la paix et l’entente dans ce pays.

Guineematin.com : on va changer de sujet pour aborder un autre thème qui est l’excision ou les mutilations génitales féminines. La Guinée est classée, selon les dernières statistiques, deuxième au monde après la Somalie. Aujourd’hui, il y a une polémique entre les leaders religieux musulmans : certains disent que l’islam ne fait pas de l’excision une obligation mais qu’il s’agit d’une simple recommandation et d’autres soutiennent le contraire. Selon vos connaissances, quelle est la position de l’Islam par rapport à l’excision ?

Mohamed Ramadan Bah : concernant l’excision, il y a des gens, peut être c’est par méconnaissance ou bien c’est par ignorance, qu’ils vont jusqu’à dire que l’islam ne parle pas de ça. Ce n’est pas vrai. L’islam a belle et bien parlé de ça. Lorsque le prophète a émigré de la Mecque vers Médine, à son arrivée, il y avait une vieille femme qui pratiquait cela. Il n’a pas interdit à la femme de pratiquer. Mais, il a donné conseil à la femme comment le pratiquer. Donc, il ne l’a pas interdit. Ça, c’est une preuve qui prouve que l’islam ne l’interdit pas. Si non, le prophète allait interdire à la vieille de pratiquer cela. Quand on doit le faire, il faut le faire dans les règles de l’art. C’est ce que le prophète a eu à dire à la femme. Ça c’est un.

Deuxièmement, il y a un hadith qui dit que lorsqu’il y a contact entre les deux circoncis, la purification majeure est obligatoire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous savez, à l’âge de la puberté, le musulman doit souvent se purifier. Il doit faire les grandes ablutions. Lorsqu’il y a contact on le sait, contact charnel entre l’homme et son épouse, ils doivent se purifier. Et là, le prophète a utilisé lorsque les deux circoncis. Là, ce n’est pas entre homme et homme, c’est entre homme et femme. En islam, il y a des trucs que l’islam ne développe pas trop comme cette question d’excision ou de circoncision. L’islam ne parle pas trop de ça. Pourquoi ? C’est par pudeur. L’islam accorde beaucoup de respect à la femme. Donc, à cause de cela, l’islam ne parle pas trop de cette question. Mais, c’est quelque chose, même si on ne le dit pas, mais c’est obligatoire. C’est quelque chose qui est permis par la religion musulmane. On ne doit pas l’interdire. Si j’entends les gens dire que l’islam n’a jamais parlé de ça, ce n’est pas vrai. Ça c’est la position de l’islam.

Guineematin.com : ceux qui pensent que ce n’est pas une pratique obligatoire soulignent qu’il n’y a aucune sanction qui est prévue contre quelqu’un qui refuse de pratiquer l’excision, alors qu’en général, l’islam prévoit toujours des sanctions contre les transgresseurs d’une loi islamique. Et c’est justement à ce niveau que se situe le débat.

Mohamed Ramadan Bah : certains vont jusqu’à dire même que l’islam ne parle pas de l’excision. Ni dans les hadiths et ni dans le coran. C’est ce que certaines personnes disent et ça ce n’est pas vrai. Et quand l’islam recommande quelque chose, même si ce n’est pas obligatoire, mais il y a la raison. Pourquoi l’islam recommande cette chose ? Forcement, il y a son importance. Sinon, ça n’allait pas être recommandé. Si ce n’était pas important, l’islam n’allait pas recommander cela. L’islam ne recommande rien qui n’est pas important pour les musulmans. Quand on dit que c’est obligatoire ou surérogatoire, c’est une sunna donc, c’est aimable. Il faut se dire qu’il y a une importance. Donc, l’islam en tout cas n’interdit pas cela. Le prophète l’a recommandé.

Guineematin.com : à côté de l’excision, il y a aussi le débat autour des mariages précoces. Beaucoup pensent qu’il n’est pas normal de donner une fille en mariage avant l’âge de 18 ans. Quelle est la position de l’islam sur cette question ?

Mohamed Ramadan Bah : en ce qui concerne la position de l’islam, puisque nous parlons de l’islam, si nous prenons d’abord la référence, c’est le prophète. Le prophète a demandé la main d’Aïcha alors qu’elle avait 9 ans. Ça, c’est notre référence ça. Il y a certains qui se mariaient à l’âge de 13 à 14 ans et ils faisaient beaucoup d’enfants. Il n’y avait aucun problème. Et elles vivaient encore plus longtemps que nous. En tout cas, dire qu’on ne doit pas se marier avant l’âge de 18 ans, l’islam ne se reconnait pas dans ça.

Puisqu’il y a même des dangers, il y a des inconvénients, si on dit que la fille doit se marier qu’après l’âge de 18 ans, cela peut conduire à beaucoup de choses. La fille peut perdre sa virginité et la fille même peut faire des enfants hors mariage. Et ça, personne ne le souhaite, ni vous ni moi, ni une autre personne. Ça, c’est une humiliation, c’est une honte, et pour la fille et pour ses parents et pour toute la communauté. Donc, qu’est-ce que l’islam recommande après l’âge de la puberté ? La fille est élevée dans sa famille. S’il y a un prétendant, si quelqu’un demande sa main et qu’on croit que la fille peut supporter le mariage, il faut la donner en mariage.

Guineematin.com : avez-vous un dernier mot pour clôturer cet entretien ?

Mohamed Ramadan Bah : le dernier mot que j’ai à l’endroit de nos compatriotes, j’ai fait une remarque très dangereuse. Vraiment, nous devons comprendre que quand il y a un problème, quand quelqu’un est fautif, c’est cette même personne qui a commis l’erreur qui doit être condamnée. Ce n’est pas sa communauté. Ce n’est pas les gens qui appartiennent à sa religion qui doivent être condamnés. Par exemple moi Bah, je suis Peul, mais si je commets une erreur, c’est moi qui dois être condamné, mais pas ma communauté. Monsieur Camara ou monsieur Traoré commettent des erreurs, ce sont eux qui doivent être condamnés, mais pas leurs communautés.

Quand il y a un problème, on doit vraiment éviter l’amalgame. Quand quelqu’un commet une erreur, on ne doit pas condamner sa communauté. Ça ce n’est pas bon et aucune religion n’accepte ça, surtout la religion musulmane. La religion musulmane dit d’éviter le racisme. Le prophète a dit que toute personne qui appelle au racisme, cette personne n’est pas musulmane. Il a dit dans un autre hadith. Il doit éviter les troubles. Les troubles dorment et toute personne qui réveille le trouble est maudite. Donc, c’est ce message que j’avais à lancer à l’endroit de mes frères et sœurs de Guinée.

Entretien réalisé par Mohamed DORE pour Guineematin.com

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