Fin de la démocratie en Guinée : que faire face au régime Alpha Condé ?

Le président actuel de la Guinée est le premier à arriver au pouvoir par les urnes. Avant lui, la Guinée avait subi deux longues dictatures et une transition militaire. Aujourd’hui, les Guinéens ne savent ni jusqu’à quand durera le régime Alpha Condé, ni comment s’en débarrasser… Son deuxième et dernier mandat constitutionnel se termine en 2020. Mais, le chef de l’Etat actuel laisse déjà transparaître une volonté de s’accrocher au pouvoir pour le temps qui lui reste à vivre…

Ahmed Sékou Touré, le syndicaliste devenu président éternel…

Arrivé au pouvoir à l’issue du référendum gaulliste du 28 septembre 1958, Ahmed Sékou Touré, le premier président de la Guinée indépendante, n’a quitté la tête du pays qu’à sa mort. C’était le 26 mars 1984 dans un hôpital de Cleveland aux Etats-Unis. Pendant de longues et très pénibles années de dictature, il avait fait assassiner plusieurs milliers de Guinéens et contraint d’autres à s’exiler pour continuer à vivre, notamment la classe intellectuelle qu’il haïssait et accusait de vouloir de « son pouvoir ».

26 ans après l’indépendance du pays, la Guinée a célébré, dans la joie, la mort de son premier président comme une libération ; surtout une semaine après la mort de « l’éternel Grand Syli », lorsque les militaires ont décidé de prendre les destinées du pays avec à leur tête un colonel de l’armée, un certain Lansana Conté, alors chef d’Etat-major de l’armée de terre.

Après le pouvoir révolutionnaire, teinté d’errements et de faux complots, la Guinée a pris le chemin de la réconciliation avec ses fils. Lansana Conté a appelé les Guinéens (y compris les exilés) à rentrer au pays. Le nouvel homme fort du pays a exhorté au pardon et prôné la réconciliation en vue de se tourner vers le développement. Il a ouvert les marchés à la concurrence et permis aux Guinéens de vivre heureux chez eux. Le chef de l’Etat de l’époque avait tellement voulu bien faire qu’il avait même prôné le multipartisme avant le discours de François Mitterrand à la Baule. D’anciens opposants condamnés à mort ont regagné le pays et animé des partis d’opposition sur le territoire national. Ce qui était impensable sous Sékou Touré…

Mais, Lansana Conté sera assailli de critiques acerbes et de traîtrise par ceux qui ont la boulimie du pouvoir et certains de ses proches collaborateurs qui servaient en réalité ses adversaires ! On reverra d’ailleurs ces derniers, après la mort du « Général-Président » aux côtés du pire adversaire de ce dernier. Aujourd’hui, certains n’hésitent même plus à qualifier ce dernier de meilleur président de la Guinée, alors que sous Conté les mêmes traitaient Alpha Condé d’ennemi de la République…

Le 21 décembre 2008 (soit 24 ans après son accession à la magistrature suprême, le 03 avril 1984), le deuxième président de la Guinée indépendante quitte le pouvoir parce qu’il a aussi quitté ce bas-monde ! Malgré tous les hold-ups électoraux, tous les massacres de manifestants, notamment lors des mouvements sociaux de 2006 et 2007, le Général-Président Lansana Conté ne pouvait rien devant Azraël, l’ange de la mort ! Le père de la démocratie guinéenne et du libéralisme économique, le président paysan, le Séné Samon, le Président-Paysan s’en est finalement allé en silence…

Son corps aurait même senti dans la « chambre froide » de la morgue avant son enterrement, si on en croit les révélations du capitaine Moussa Dadis Camara dont le passage à la tête de la Guinée n’a essentiellement été marqué que par les Dadis – Show et surtout le massacre du 28 septembre 2009. Plus de 150 Guinéens seront tuées au stade et des centaines de femmes violées, ce 28 septembre, pour avoir exigé du chef de la junte militaire d’organiser l’élection présidentielle et de passer le témoin à son remplaçant comme il l’avait promis à sa prise du pouvoir, le 23 décembre 2008. Plus de dix ans après, on refuse toujours de rendre justice pour ces victimes comme si Alpha Condé et ses ouailles avaient quelque chose à se reprocher dans ces crimes…

Finalement, ne pouvant même pas boucler une année à la tête du pays, le capitaine Moussa Dadis Camara que certains surnommaient déjà « Moïse », l’envoyé de Dieu pour sauver le peuple de Guinée, est trahi et remplacé par son ministre de la Défense et « homme de confiance », un certain Sékouba Konaté qu’il avait entre-temps élevé au grade de Général ! L’homme qui menaçait de se présenter si les politiciens n’arrêtaient pas la provocation s’en est tiré avec une balle dans la tête. Son garde-de-corps qui lui a tiré dessus s’est fait aider pour fuir le pays, même si on a longtemps fait semblant de le chercher…

Après son hospitalisation au royaume chérifien, Dadis Camara est toujours officiellement « en convalescence » à Ouagadougou, dans le pays des Hommes intègres ! Ses multiples tentatives de rentrer à la maison se sont toutes soldées par un échec, même par la voie politique. Le capitaine Dadis s’est même vu obligé de contourner Conakry pour se rendre aux obsèques de sa chère maman à Nzérékoré, sa ville natale. L’ancien chef de la junte militaire apprendra à ses dépens que certains Guinéens se plaisent à « revendre » la proximité et la confiance quand on les leur accorde et que ce qu’ils disent de toi en face peut souvent contraster avec ce qu’ils pensent réellement de toi et qu’ils ne diront qu’après ton départ. Sékou Touré était le libérateur, le plus grand démocrate et meme l’homme-peuple ; il a fallu sa mort et le coup d’Etat de la bande à Conté contre son régime pour qu’on apprenne que le camarade révolutionnaire était en réalité un dictateur, un sanguinaire, excuser du peu, ainsi de suite. Après Conté, Dadis et Konaté, c’est le tour d’Alpha Condé d’être le plus grand démocrate, l’homme de la paix, le plus bon, le plus beau … Le messie.

Ainsi, parmi ceux qui ont jusque-là dirigé notre cher pays, si quelqu’un peut se targuer d’avoir accompli sa mission avant de partir, c’est bien le malheureux Sékouba Konaté ! Lui qui a cloué au Bukina Faso Dadis Camara qui lui faisait entière confiance, est revenu organiser l’élection présidentielle pour faire gagner son candidat, Alpha Condé. Même s’il avait versé ses premières larmes de regret en 2010 lorsque Sidya Touré avait organisé les femmes de Kaloum contre lui après la publication des résultats contestés du premier tour de l’élection présidentielle du 27 juin 2010, il n’a réellement manifesté son mécontentement qu’après avoir goûté au supplice de l’exil. En fin 2010, naïf, El Tigre s’imaginait même devenir le ministre de la Défense du nouveau président, «démocratiquement élu», à qui il a été heureux de transférer les armoiries de la République…

Et, vint Alpha Condé !

Parmi les 24 candidats à la présidence de la République, le 27 juin 2010, Alpha Condé (qui avait récolté moins de six cent mille électeurs) était le seul opposant à avoir combattu tous les régimes qui se sont succédé à la tête de la République de Guinée depuis l’indépendance. Ainsi, même s’il avait totalisé 1 062 549 voix (ayant ainsi 39,72 % au premier tour) sur les 2 675 320 votants pour les 24 candidats, Cellou Dalein Diallo devait accepter sa défaite au second tour et laisser Alpha Condé goûter au pouvoir, avaient estimé bon nombre de Guinée. Surtout que l’ancien Premier ministre de Lansana Conté était le moins âgé et que le maximum pour un président de la République avait été verrouillé à dix ans (deux fois 5 ans). Après le discours d’acceptation de sa défaite à Dixinn, le Pr. Ibrahima Fall, Co-président du Groupe international de contact sur la Guinée avait été très inspiré pour consoler le challenger d’Alpha Condé : « la victoire n’est que différée » !

Seulement, peu après son arrivée à la tête du pays, l’ancien opposant historique s’est attaché les services des mêmes qu’il disait combattre quand il était dans l’opposition. Sa gouvernance tangue et rime avec favoritisme, corruption, impunité, manipulation… Les caisses de l’Etat et les décrets lui attirent le soutien du plus grand nombre. Désormais, ce ne sont pas ses initiatives qui sont accompagnées ; mais, chacun suit son parent, sa relation, qui suit à son tour un décret ou un marché. Finalement, le réseau se consolide et s’accapare de tout. On a même envie d’arrêter le temps pour mieux se partager les biens et privilèges de l’Etat. Mais, puisque le temps ne s’arrête pas, on veut augmenter celui initialement limité par la Constitution. Pour ce faire, on tue (déjà plus de cent manifestants), on militarise les quartiers qu’on dit habités par les adversaires du régime, on vole des PV et impose des élus. Par la force, on obtient ainsi ce qu’on n’a pas avec les décrets et les billets de banque. Mais, jusqu’à quand ?

Nous sommes malheureusement face à la fin de la démocratie en République de Guinée. Même si les opposants continueront à se présenter et présenter des candidats aux différentes élections, il faut dorénavant se résoudre que l’élection ne pourra plus rien contre le régime Alpha Condé. Ce qui s’est passé hier, jeudi 07 février 2019 à Conakry, prouve qu’il ne suffit plus d’être plus audible face aux citoyens pour espérer vaincre le régime actuel. Il faudrait peut-être se purifier, faire face au Tout Puissant et prier de vivre et d’être élu quand Dieu décidera de rappeler à Lui le Professeur-Président.

Il est important de rappeler qu’après avoir été vaincu le 15 décembre dernier par le vote des 45 conseillers élus le 04 février 2018, Mamadouba Toss Camara a été imposé hier à la tête de la commune de Matoto. S’il a officiellement bénéficié du vote de 30 conseillers et que les opposants étaient absents, la vérité est que le pouvoir a usé de sa position dominante pour imposer son homme. Il d’abord saboté le vote du 15 décembre, via un certain Moussa Keita, avant d’annoncer son annulation et sa reprise. Et, ce jeudi, 07 février 2019, l’absence des conseillers de l’opposition n’était pas la seule anomalie. Le siège de la commune ressemblait à tout sauf un lieu où se déroulait un vote : les lieux ont été quadrillé par des agents des forces de l’ordre et tous les représentants des médias éloignés le plus loin possible pour ne rien filmer ou enregistrer. Ce n’est qu’après avoir terminé de distribuer les rôles que les cameras ont été invitées à filmer l’installation du « nouveau maire ».

Bref, après avoir empêché toute forme de manifestation dans ce pays, le Gouvernement actuel nous oblige ainsi de faire le deuil de la démocratie… En attendant, les chercheurs de postes et de privilèges se surpassent de superlatifs pour nommer qui mieux mieux le Professeur-Président. L’ancien geôlier de Lansana Conté (qu’on accusait d’avoir été attrapé en caftan marocain dans sa fuite à Piné ayant des devises étrangères et un téléphone satellitaire avec lequel il était accusé de parler avec des rebelles se trouvant de l’autre côté de la frontière, en décembre 1998) est aujourd’hui décrit comme étant un homme patient qui a su attendre son heure depuis plus de quarante ans, un homme qui disait ne pas vouloir tuer ses militants…

Quand Dieu sauvera-t-Il le peuple de Guinée ?

Nouhou Baldé pour Guineematin.com

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