Coup d’Etat contre Alpha Condé, attentes de la transition : Dr Diao Baldé de l’UGN à Guineematin

Comme annoncé précédemment, le régime d’Alpha Condé (au pouvoir en Guinée depuis 2010) a été balayé dimanche dernier, 05 septembre 2021, par les forces spéciales (une unité d’élite de l’armée guinéenne). Les militaires putschistes ont justifié ce coup de force par le sens du devoir face à la souffrance des guinéens. Ils ont aussi promis de mettre en place un gouvernement d’union nationale, de jeter les bases d’institutions fortes dans le pays. Leur action a été vivement saluée par la population (même si la communauté internationale a condamné ce coup d’Etat). Le renversement du pouvoir d’Alpha Condé a été célébré comme une libération, même dans la classe politique.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com hier, mardi 07 septembre 2021, Dr Diao Baldé, le président de l’union pour la Guinée nouvelle (UGN) et membre de l’ANAD, a livré sa lecture de ce coup d’Etat et ses attentes de la transition promise par les militaires au pouvoir (le CNRD). Il a également appelé à la prudence sur les manœuvres des « opportunistes et des démagogues » qui pourraient saper la bonne foi des autorités actuelles du pays.

« Il faut les arrêter. Parce que vous savez que Dadis a été emporté par ces mouvements sporadiques de soutien qui ne sont que des opportunistes. Je suis désolé de le dire, mais il faut les arrêter et travailler avec les forces vives du pays… Tous ces mouvements de soutien, on n’en a pas besoin… », a-t-il martelé.

Décryptage !

Guineematin.com : comment avez-vous vécu ce coup d’Etat militaire qui a renversé le régime d’Alpha Condé ?

Dr Diao Baldé : Avant de répondre à votre question, je voudrais tout d’abord saluer vos millions d’auditeurs et auditrices (sur facebook) et féliciter Guineematin pour tout ce que vous faites pour le développement de ce pays. Maintenant, pour répondre à votre question, je dirais que, comme tout le monde, nous l’avons vécu avec beaucoup de satisfactions. Parce que pour tout citoyen guinéen honnête et digne, c’est une libération du peuple de Guinée de cette dictature qui avait mis le pays dans des difficultés énormes. Personnellement, je suis tout à fait à l’aise et très satisfait par rapport à la réaction de l’armée guinéenne, à travers le comité national de rassemblement et du développement (CNRD). Je m’en félicite sérieusement et je les félicite.

Guineematin.com : à votre avis, ce coup d’Etat est-il prévisible, au vu des conditions sociopolitiques et économiques que le pays traversait ?

Dr Diao Baldé : Le coup forcé du troisième mandat, tout guinéen conscient qui voyait la situation sentait les choses venir. Ça c’est évident. Mais, par quel moyen, quelle stratégie, avec quelle équipe, c’était ça les grandes questions. Sinon, les gens s’y attendaient, notamment avec la situation socioéconomique de ce pays, l’état de pauvreté, de précarité, l’état de nos infrastructures, la hausse du prix du carburant, la baisse du pouvoir d’achat et surtout le coût exagéré de l’administration. Ça présageait naturellement un changement. C’est la forme que ce changement devait intervenir qu’on ignorait. Mais, que cela arrive maintenant avec cette unité d’élite de l’armée guinéenne, on ne peut que s’en féliciter. Mais, les conditions étaient déjà réunies par rapport à ça (ce coup d’Etat).

Guineematin.com : Ce coup d’Etat qui a mis fin au pouvoir d’Alpha Condé a été ovationné par les guinéens et condamné par la communauté internationale. Et, l’ANAD dont vous êtes membre a dit être disposé à travailler avec la junte actuellement au pouvoir, dans le cadre d’une transition apaisée et inclusive. Quelle est la position de votre parti, l’UGN ?

Dr Diao Baldé : Nous, au niveau de l’UGN, c’est partagé aussi au niveau de l’ANAD, c’est que c’est une formalité, c’est une condamnation classique. Que les organisations internationales fassent des déclarations de condamnation, c’est parce que c’est dans le cadre de la réglementation, c’est quelque chose qui est condamné (les coups d’Etat) et on voudrait que les élections se passent par les voies légales. Mais, déjà on avait violé la loi par le fait d’aller à un troisième mandat. Parce que le fait de changer la constitution pour s’octroyer un troisième mandat, c’est déjà un coup d’Etat constitutionnel. Donc, je pense que les organisations internationales devront comprendre les préoccupations et l’aspiration du peuple de Guinée qui voulait réellement un changement. Et, cela s’est exprimé par la liesse populaire que nous avons vécue ces derniers jours. Naturellement, aucun ne peut le souhaiter (un coup d’Etat). Mais, nous saluons et encourageons le CNRD et nous restons très prudents et très observateurs. Ce qu’on peut les conseiller, avec tout le soutien qu’on peut leur apporter, c’est de respecter les engagements. Déjà, les premiers motifs qui ont amené l’armée à prendre la situation en main, c’est cette gabegie que nous vivons avec ce gouvernement d’Alpha Condé qui n’a pas pitié de la population et des travailleurs. La violation des droits de l’homme, tout le monde le sait depuis l’arrivée de monsieur Alpha Condé au pouvoir, ces droits ont systématiquement été violés. Vous savez les tueries qu’il y a eu, des enfants de bas âge ont été abattus à bout portant par les forces armées sans qu’il n’y ait aucune enquête. Donc, nous observons la situation dans l’espoir que les choses vont aller pour le mieux.

Guineematin.com : Ce n’est pas la première fois dans ce pays qu’on entend des militaires justifier un coup d’Etat par les conditions de vie difficiles des guinéens. Le cas du capitaine Moussa Dadis Camara en 2008 est très illustratif. Mais, en dépit des déclarations de bonnes intentions, on a quand même enregistré les douloureux évènements du 28 septembre où au moins 157 ont perdu la vie sous les balles et les coups des militaires. Alors, pensez-vous qu’il est judicieux de faire encore aux militaires pour conduire le pouvoir en Guinée ?

Dr Diao Baldé : C’est que nous on les tient aux mots par rapport aux motifs. Et, même le colonel Mamady Doumbouya l’a dit clairement. C’est parce qu’il voit réellement que la population souffre qu’il a pris ses responsabilités. En plus de cela, il a dit qu’ils vont éviter les erreurs du passé. Mais, ce que nous les encourageons à faire, c’est d’amorcer un processus démocratique inclusif pour amener à une transition apaisée permettant de mettre en place des bases légales pour un développement de ce pays. Naturellement, toutes les réformes qui devront être entamées, devront être menées par des personnes ayant la confiance du peuple. Parce qu’il y a l’unité nationale, le redressement économique, la mise en place d’une justice pour tous, l’amélioration des conditions de vie surtout au niveau des infrastructures. Nous manquons sérieusement d’infrastructures. Donc, il faudra trouver une équipe qui va travailler pour le développement de ce pays. Puisque, c’est que nous attendons de ces forces armées, c’est vraiment la mise en place des institutions de transition qui travailleront pour une élection inclusive et transparente. Maintenant, les gens issus de ces élections devront travailler sérieusement pour l’unité nationale et le développement de ce pays. C’est très malheureux qu’après plus de 60 ans d’indépendance, avec tout le potentiel que nous avons, que nous soyons aujourd’hui dans cet état de pauvreté. C’est extrêmement dommage pour notre pays. Nous aimerions avoir des hommes et des femmes guinéens qui sont capables de relever ce défi.

Guineematin.com : à votre avis, combien de temps doit durer cette transition qui se veut être le moteur d’un nouveau départ pour la Guinée, à travers la mise en place d’institutions fortes et la dépersonnalisation de la vie politique et administrative ?

Dr Diao Baldé : Le plus tôt possible. On n’a pas encore discuté de ça (la durée de la transition), parce qu’ils (le CNRD) n’ont pas encore défini leur feuille de route. Donc, nous attendons qu’ils définissent leur feuille de route ; et, sur la base de ça, certainement nous allons nous prononcer. Mais, ce qui est surtout important, c’est de mettre en place des organes de transition qui sont inclusifs pour mettre en place tout le cadre légal et réglementaire permettant une élection transparente et inclusive. Puisque c’est une transition ; et, une transition est naturellement une période courte à l’issue de laquelle il faut transmettre le pouvoir à des gens élus par le peuple. Donc, pour le moment nous sommes observateurs, mais nous les soutenons. Nous sommes prêts à les accompagner dans cette phase de transition.

Guineematin.com : Beaucoup de guinéens appellent aujourd’hui à ne pas commettre les erreurs du passé notamment pour ce qui l’ordre de l’organisation des élections dans le pays. Ils pensent, qu’au moment venu, qu’il serait judicieux de commencer par les élections locales et finir par la présidentielle. Etes-vous de cet avis ?

Dr Diao Baldé : Moi je pense qu’ils doivent travailler pour mettre en place le cadre de transition. Et, ce cadre transitionnel devrait travailler sur le cadre d’un domaine légal qui permette de mettre en place tous les instruments. Vous savez qu’il y a eu un changement constitutionnel contesté, on ne sait pas aujourd’hui quelle est la constitution qui est valable. Il faudrait y travailler ; et, à partir de là, définir le cadre. L’idéal serait effectivement qu’on passe à toutes les élections locales avant d’aller aux élections présidentielles. Mais, il faut que cette transition travaille sur les conditions d’une élection apaisée et transparente. Parce que le processus démocratique, ce n’est pas seulement les élections. C’est tout un processus ; et là, les institutions qui sortiront de cette transition devront travailler sur ce processus par une justice, impartiale, normale et équitable.

Guineematin.com : Que pensez-vous de l’idée d’une nouvelle constitution, comme l’ambitionne déjà la junte militaire au pouvoir ?

Dr Diao Baldé : Moi je pense que dans leurs explications, ils (le CNRD) ne sont pas tout à fait clairs encore. Parce que nous avons besoin de comprendre ce qu’ils entendent par réécrire ou relecture d’une constitution. Pour le moment, ce n’est pas tout à fait clair. Parce que si vous écoutez ce qu’ils disent, il y a plus ou moins deux langages. Mais, de toutes les façons, on attend une déclaration claire de leur part. Maintenant, ce qui est important actuellement, c’est l’inclusivité de toutes les forces vives, le consensus autour des différents points. Parce que si le consensus est obtenu, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. En tout cas, on ne souhaite plus revivre ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. Donc, il faudrait qu’on travaille avec des personnes honnêtes et conscientes qu’on ne veut plus retourner dans la situation d’avant. Nous alertons déjà les autorités actuelles pour tirer les leçons de ce qui s’est passé, parce qu’en Guinée il y a extrêmement d’opportunistes. Il faut faire très attention par rapport à cela.

Guineematin.com : Justement, puisque vous parlez des opportunistes, des mouvements de soutien commencent déjà à émerger à Conakry. Quelle est votre appréhension de ces mouvements ?

Dr Diao Baldé : Il faut les arrêter. Parce que vous savez que Dadis a été emporté par ces mouvements sporadiques de soutien qui ne sont que des opportunistes. Je suis désolé de le dire, mais il faut les arrêter et travailler avec les forces vives du pays. Parce que les forces vives sont connues, ce sont les partis politiques, les organisations de la société civile, les syndicats… Mais, tous ces mouvements de soutien, on n’en a pas besoin. Parce que ce ne sont pas les mouvements de soutien qui ont fait changer les choses. Donc, on n’a pas besoin de tous ces mamayah.

Guineematin.com : Aujourd’hui les guinéens sont pressés, les conditions de vie sont difficiles et les attentes sont nombreuses. Croyez-vous que ces militaires vont régler tous ces problèmes ?

Dr Diao Baldé : Je ne pense pas. On a des problèmes endémiques ; et, je ne pense pas que c’est lors de cette transition qu’il faudra les régler. Ce sont les personnes issues des élections libres et transparentes qui seront redevables à travers un programme. Ce qui est intéressant et important aujourd’hui, c’est de mettre en place des organes de transition pour avoir des élections libres et transparentes, mettre des institutions fortes. Ceux qui seront élus vont ensuite mettre en place des programmes de développement économiques. De l’état actuel des problèmes est tel qu’il sera extrêmement difficile pour un gouvernement de transition de s’attarder à ça. On doit travailler pour mettre en place des institutions fortes qui ne sont pas affiliées à un individu. C’est ce qui nous a sérieusement fatigué jusqu’à maintenant. Il faut que le guinéen comprenne qu’il faut mettre en place des institutions fortes qui peuvent répondre à la préoccupation des populations.

Guineematin.com : Nous sommes pratiquement au terme de cet entretien que vous avez accordé. Mais, avant de nous quitter, on voudrait bien avoir vos sentiments sur la libération des détenus politiques par la junte au pouvoir.

Dr Diao Baldé : J’ai écouté leur communiqué, je souhaite que cette libération soit effective, et le plus tôt serait le mieux. D’ailleurs, je pense que c’est l’une des meilleures décisions qui ont été annoncées encore. Parce qu’aujourd’hui tout le monde sait comment les gens-là ont été arrêtés. Ils étaient dans leur droit de manifester leur désaccord par rapport à certaines décisions qui sont prises de manière unilatérale. Mais, ils ont été arrêtés, séparés de leurs familles, aujourd’hui c’est des épreuves énormes dans les familles de ces prisonniers qui n’ont rien fait. Il y a eu même des morts dans ces prisons. Donc, je pense que l’idéal c’est de les sortir de prison le plus tôt que possible. En tout cas, nous les encourageons vivement à sortir ces prisonniers politiques. Comme il (le CNRD) dit que la justice c’est la boussole, nous aimerions que ça soit effectif. Pour le moment nous sommes satisfaits des propos, mais nous serons aussi très attentifs.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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