Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher cousin,

En cette période pendant laquelle je traverse les pires moments de mon existence, me livrer à cet exercice d’écriture me procure un immense plaisir. Il me permet non seulement de noyer les soucis mais aussi de me défouler pour partager avec toi les différentes péripéties qui constituent le quotidien d’un ancien ministre que je suis.

Si j’ai pris la peine de t’écrire au lieu de t’appeler, c’est pour éviter de te vexer. En raison de la sensibilité du contenu de cette lettre. Il est inutile de te dire que le moral n’est pas au beau fixe. Même si je dois louer mon créateur de m’avoir sauvé la vie. Car, et comme dit le dicton populaire, notre cas ressemble à celui d’un animal qui était destiné à l’abattoir qui est finalement tatoué.

Tu te rends compte que j’ai désormais le temps. Je suis en train de tourner et de retourner au tour du pot, sans aller à l’essentiel. Je reviens donc dans le vif de mon sujet. Il s’agit du cas du marabout que tu avais introduit chez moi. Celui-ci m’a appelé récemment pour me raconter des balivernes. Oubliant l’assurance qu’il m’avait faite, et sur laquelle je reviendrai plus loin, ce monsieur veut une nouvelle fois m’emballer comme il l’a fait la première fois.

Ton fameux marabout m’a appelé pour me dire de prendre courage et que tout n’est perdu. Me rassurant qu’il va tout faire afin que je figure sur la liste du nouveau gouvernement. De cette phrase j’ai conclu à deux choses : soit il est complétement débile soit il me prend pour un débile. Après mûre réflexion, je me suis dit qu’il y a même les deux. Moi qui ai fait aveuglement confiance à un tel individu et lui qui dit des choses totalement insensées, nous avons tous des problèmes. En ce me concerne je vais me débarrasser des miens en me débarrassant de lui.

Si je suis empêtré dans cette situation aujourd’hui, c’est en grande partie à cause de ce type. Tu te souviens qu’à un moment donné j’ai voulu démissionner. Mais j’ai eu le malheur de demander son avis. Lequel avis était aux antipodes du mien. Il m’a dit que le projet de mon patron passera et que nous régnerons encore pendant au moins une décennie. Son optimiste m’avait fait changer d’avis. Je voulais vraiment démissionner pour éviter l’épreuve que je traverse actuellement.

Ce gars, qui n’est rien d’autre qu’un profiteur voire un escroc, m’a dit qu’il ne fallait pour rien au monde abandonner mon poste. Ou plus exactement notre poste. Parce que ce poste était pour lui aussi une véritable vache laitière. Ignorant complétement les enjeux du moment, il rêve me voir à nouveau dans un gouvernement. Ne sachant qu’après un coup de force, et dans le meilleur des cas, un ancien ministre ne peut espérer que la liberté. Redevenir ce qu’il était relève d’un rêve. D’autant plus que le nouveau patron a martelé qu’il n’y aura jamais de recyclage.

Cher cousin,

Je regrette amèrement de n’avoir pas emboité le pas à mes collègues qui avaient démissionné. Comme tu le vois sur les réseaux sociaux, qui sont désormais incontournables, l’opinion publique est largement favorable à ces messieurs. Parce qu’ils ont pris un risque. Et justement j’en veux à mort à ton marabout qui a usé de tout son poids pour me dissuader de jeter l’éponge. Au lieu de faire amande honorable et me présenter ses excuses, ce monsieur espère m’avoir pour la deux deuxième fois. Jamais.

Et je voudrais que tu l’appelles pour lui dire premièrement que ses prévisions ont été fausses. Et deuxièmement qu’il arrête de m’importuner. Ni aujourd’hui ni demain je ne veux ses services. Qu’il fasse ce qu’il veut et ce qu’il peut. Cartésien que je suis, et doublé de musulman pratiquant, je me remets à la volonté de mon Créateur. Plus jamais dans ma vie je ne ferai recours à un mortel. La fin de l’épisode que je viens de vivre ces derniers temps m’a conforté que le pire ignorant n’est pas celui qui n’est pas allé à l’école. Mais celui qui demande une aide à son semblable.

Avec le recul, il m’arrive souvent de réfléchir et de sourire tout seul. Tu sais pourquoi ? En faisant appel à la raison. Comment peux-tu comprendre et expliquer qu’un homme ayant les mêmes besoins que nous, un homme dont les enfants sont tous de bons à rien, peut-il aider un autre homme ? Si notre marabout avait le pouvoir et le secret qu’il prétend avoir, pourquoi n’aiderait-il pas ses propres enfants à devenir ministres ? Voilà les bonnes interrogations qu’il faille se poser.

Partant de cette leçon que j’ai tirée, je voudrais que tu dises à cet homme de me laisser tranquille. Sachant que je ne sais faire rien d’autres que ce que j’ai fait ces dernières années, si toute la société crie qu’il n’aura plus de recyclage, les années qui viennent s’annoncent plutôt difficiles. Car quelle que soit la richesse d’un homme, si son revenu n’augmente pas il finira par s’épuiser. Cette perspective angoissante voire hallucinante me donne déjà de l’insomnie. Les fonctions qui furent les miennes ces dernières années m’ont habitué à dépenser sans compter. Or, depuis le 5 septembre dernier, j’ai commencé à compter.

Madame a du mal à s’habituer à la nouvelle donne. Sa réaction me rappelle cette citation de Sacha Guitry « La réussite, pour un homme, ‘est d’être parvenu à gagner plus d’argent que sa femme n’a pu en dépenser ». Sachant cela, je ne me fais pas d’autres soucis. Parce que j’en ai déjà suffisamment. C’est pour cela que je souhaite que tu interviennes auprès du marabout pour lui dire de me coller la paix une fois pour toutes.

Ton ami, le ministre.

 Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est pure coïncidence.

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