Un visa pour le Fouta Djalon

Droit, politique étrangère et mobilité des étrangers

Comme tout Etat jaloux de ses prérogatives, la confédération théocratique prit soin d’organiser l’accès à son territoire. La gestion de la « mobilité des étrangers » répondait à des règles et des usages. Quand elle servait les intérêts économiques du pays, elle faisait l’objet de consultations entre assemblée et souverain. La traduction et le (bref) commentaire d’un sauf-conduit (ciftinorgol) offrent un aperçu du fonctionnement de l’administration.

Une exception : droit islamique et usages

« Ce sont des mécréants ! Que viennent-ils faire dans notre pays ?! » (Diountou, 1817 – Campbell). Le droit islamique distingue le « dar al-harb » (domaine de la guerre) du « dar al-islam », auquel un étranger non musulman ne peut accéder qu’à titre exceptionnel. Cette dérogation implique qu’un Croyant se porte garant de sa sécurité (aman, en arabe). Voici comment Modi Mamadou Dian (notable de Timbo) y recourut pour un voyageur souhaitant gagner le Fouta Djalon.

Un « verset du Coran écrit de la main de l’almaami (« l’hospitalité fournie au voyageur indigent mène au paradis ») (…) devait me servir de passeport parmi tous les bons musulmans » (Araponka/Rio Pongo, 1827 – Carnot). Peu importe l’exactitude de la citation, l’essentiel est le gîte, comme pour cet individu espérant « le papier royal qui doit m’ouvrir, dans chaque village, une case où m’abriter » (Sanderval, 1881). De fait, l’approbation du souverain est incontournable.

4 février 1888 : « un courrier porteur d’une lettre en arabe » destinée à almaami Ibrahima Sori prend la route. Le voyageur se conforme « à l’usage de demander au chef l’autorisation de rentrer dans ses Etats » et reçoit une réponse favorable le 21 février 1888 (Gallieni). La simplicité de la procédure atteste de l’ouverture croissante du pays – à mesure que les intérêts économiques prennent le pas sur les considérations religieuses.

Economie et politique

Ils « ont en horreur les chrétiens, et sont persuadés qu’ils veulent s’emparer des mines d’or situées à l’est du Fouta : c’est pourquoi ils mettent tant de précautions à leur fermer cette route » (Caillié, 1827). De fait, l’enjeu était la maîtrise des flux commerciaux du Sahel vers le littoral – qui garantissait des ressources douanières et le moyen d’influer sur le cours des denrées en régulant l’approvisionnement des comptoirs …

Indice de son importance, la « mobilité des étrangers » relevait d’une institution fédérale, le kawtital mawbhè (Conseil des Anciens). « Ali, fils du marabout Abdoulai Paty, a écrit cette lettre (…) aux anciens de Timbo (…) pour les engager à ne pas empêcher le blanc de voyager librement, car c’est l’hôte de l’almamy » (Mollien, 1818). Il semble que la protection de l’almaami était symbolique et que la liberté de mouvement était du ressort des Anciens.

En effet, le kawtital mawbhè pouvait se prononcer sur l’itinéraire du voyageur. Août 1881, Donhol Fella (Timbo) : « les courriers revenus de Timbo ont fait savoir à l’Almamy que le conseil des Anciens désirait nous voir retourner au Sénégal par le Fouta (…) afin de connaître « tout le monde du pays » (Noirot). La politique étrangère du pays intéressait également les diiwe …

Un sauf-conduit d’Alpha Aguibou, landho Labé (m. 1882)

« Vu le roi (…) je reçois un papier rédigé séance tenante (…) un laisser-passer » (6 mars 1881 – Tchikambil, Guinée Bissau – Sanderval).

« Au nom d’Allah, le clément, le miséricordieux. Qu’Il soit loué (…) et que la prière et le salut soient sur le Prophète ! Ce document est rédigé par Alpha Aguibou pour un étranger, hôte de l’almaami Ibrahima. Mawbhè Fuuta (O notables du Fouta), nous vous prions de le conduire chez l’almaami. Pour ma part, je l’accompagnerai jusqu’à la misiide (circonscription administrative) de Modi Ibrahima Sori, qui l’escortera jusque chez Koutoubou Touba. Ensuite, il sera conduit dans la misiide du (pays de) Binaani, puis de misiide en misiide jusque chez Modi Abdoulaye Diountou. Ce dernier l’accompagnera chez Modi Mamadou Daka, qui lui fera gagner la mosquée de Popodara. Les mawbhè de la localité le conduiront dans la misiide de Modi Mamadou Nadel, qui fera de même avec Thierno Saïdou Koulidara, qui le confiera à son tour à Modi Mamadou Kolon Dara. Ce dernier le conduira chez Modi Saïdou et Modi Ibrahima Tosoko, qui le confieront à Modi Amadou Bella Mawdho avant qu’il ne le conduise dans le (diiwal) Kebaali chez Alpha Amadou Diarouga. Il le conduira dans une grande misiide, dont les Anciens se chargeront de l’accompagner chez Alpha Amadou Fougoumba. Puis, il lui fera gagner la misiide suivante et l’on procèdera ainsi jusqu’à parvenir chez Alfa Thiata, landho Bhuriya, qui le conduira à la misiide suivante avant de parvenir à celle de l’almaami. Wa Salam ».

L’itinéraire du voyageur est déterminé et placé sous la responsabilité de treize responsables situés dans cinq diiwe (Labé, Kébali, Fougoumba, Bhouriya et Timbo). Les haltes aux chefs-lieux des subdivisions administratives garantissent le caractère public du périple. Quelques individus sont « reconnaissables » – à Touba (“Karamoko Koutoubou” alias ‘Abd al-Qadir b. Muhammad Taslimi (1830 – 1905)) ou à Dara Labé (Modi Mamadou Kolon mo Modi Aliou Zaïnoul (m. 1910)) …

L’architecture du laissez-passer repose sur des « points de repère ». De fait, la confédération théocratique forme un ensemble de circonscriptions administrées par des individus nommés par l’almaami ou les lanbhe diiwe. Investis d’une parcelle de l’autorité de l’Etat, ils sont les maillons d’une chaîne dont les mosquées (du vendredi) constituent les anneaux. Dès lors, la bonne marche du voyageur et celle de l’administration ne font qu’une : il faut suivre l’itinéraire et appliquer les instructions.

Conclusion

Les règles et pratiques régissant la mobilité des voyageurs occidentaux offrent un aperçu méconnu du Fouta Djalon sous l’alsilamaaku. Recourir à des documents d’époque, c’est révéler un état d’esprit, une politique étrangère et une pratique administrative. C’est aussi (et surtout ?) trouver matière à inspiration dans l’attention portée à la défense des intérêts du pays par la concertation et le partage de l’information.

Mots : 999

Alfa Mamadou Lélouma –

Merci à Dr. Thierno Oury Diallo

pour la traduction du sauf-conduit

Illustration

Sauf-conduit (ciftinorgol) d’Alfa Agibu mo Alfa Ibrahima, landho Labe

Publié en 1899 par Aimé Olivier de Sanderval (1840-1919) – éditeur : A. Challamel (Paris)

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