Bogola Haba après sa libération : « la maison centrale est un lieu de radicalisation et non un lieu de réinsertion »

Kéamou Gbogola Haba de l’UGDD et président de la commission communication  de l’ANAD
Kéamou Gbogola Haba de l’UGDD et président de la commission communication  de l’ANAD

Comme annoncé précédemment, 79 détenus politiques incarcérés à la maison centrale de Conakry pour diverses infractions ont recouvré leur liberté hier, mardi 07 septembre 2021. Parmi ces prisonniers qui ont été libérés, figure Kéamou Bogola Haba, le président d’honneur de l’UGDD et président de la commission communication de l’ANAD, arrêté le 14 juillet dernier au sortir d’une réunion politique dans la haute Banlieue de la capitale guinéenne. Il n’a donc passé qu’un mois et trois semaines à la maison centrale, mais les conditions de vie exécrables des personnes qui croupissent dans cette prison ont marqué son esprit.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce mercredi, cet homme politique a qualifié cette prison de Conakry de « lieu de radicalisation ». Il a également dénoncé la misère, l’insalubrité, les problèmes de nourriture et santé qui assaillent les prisonniers qui y vivent.

Décryptage !

Guineematin.com : Vous avez passé un mois et trois semaines en prison sous le régime Alpha Condé et aujourd’hui vous êtes libre après sa chute suite à un coup d’Etat militaire. Quel est le sentiment qui vous anime ?

Kéamou Gbogola Haba de l’UGDD et président de la commission communication  de l’ANAD

Kéamou Bogola Haba : C’est d’abord un sentiment de satisfaction par le fait que je retrouve ma famille biologique et politique d’une part, mais surtout notre objectif est atteint, notre mission a été accomplie. Quelle était cette mission qui nous a engagés autour de cette question, c’était le départ de monsieur Alpha Condé, c’est-à-dire l’alternance. Nous avons dit que le troisième mandat doit être réversible et ça s’est fait. Avant que je sorte de prison, si cet objectif est atteint, je suis très satisfait. Je suis satisfait aussi parce que je suis sorti de prison avec tous les autres détenus politiques. J’ai été le dernier à être mis en prison depuis le 14 juillet 2021. Évidemment, si je sors avec tous les autres prisonniers, y compris des jeunes gens qui sont depuis plus de 2 ans dans cette prison, c’est une satisfaction personnelle. Une autre satisfaction, parce que les autres prisonniers du droit commun et militaire aussi vont sortir. C’est-à-dire ceux qui ont déjà épuisé pratiquement une grande partie de leur peine, mais aussi les militaires qui ont été accusés de coup d’Etat. Le CNRD a décidé de les libérer aussi, c’est une satisfaction personnelle.

Donc, le seul remord que nous avons, c’est que nous n’avons pas toutes les victimes pour célébrer le départ de Monsieur Alpha Condé. Beaucoup sont dans les fosses communes, beaucoup sont méconnus, beaucoup sont handicapés à vie. Finalement, pour que monsieur Alpha Condé parte, des jeunes gens innocents sont également morts ce jour-là. Et, ceux-ci viennent se joindre à la liste des autres victimes qui se sont battues pour la démocratie. Mais, nous pensons que la nation entière va rendre un hommage digne de nom à l’ensemble de ces illustres disparus.

Guineematin.com : Comment était votre vie en prison ?

Kéamou Bogola Haba : Moi je suis parti en mission à la maison centrale, quand nous avons accompli la première qui était celle de rendre l’ANAD pérenne pour avoir une institution politique qui englobe la diversité nationale autour d’Elhadj Cellou Dalein. C’était une mission accomplie. Parce que tous ces problèmes qu’on a en Guinée, qui était la question de la division ethnique, la multiplicité des partis, l’ANAD venait résoudre une bonne partie de cela par la signature de l’accord du 14 juillet mettait. Et donc, si ce même jour on m’arrête, j’ai considéré qu’on m’a arrêté pour une autre mission. Et, cette mission, je devais l’accomplir à la maison centrale. Évidemment, j’ai compris dès le premier jour, malgré que mon avocat a mis tout en œuvre pour ne pas que je sois emprisonné, mais Dieu a voulu que je sois mis en prison. Quand je suis allé, ce que j’ai vu de mes yeux, je plaide pour la fermeture de cette prison (la maison centrale) qui ne répond à aucun critère d’un lieu de réinsertion sociale. Parce qu’elle est bondée. Vous avez, dans une même cale, plus de 66 personnes avec une seule douche. Vous voyez des pères de famille alignés en queue, des détenus militaires, des détenus politiques, des bandits de droit commun, tout le monde est mélangé. Et là, c’est quelque chose d’important. Mais aussi important, c’est l’unité que j’ai trouvé. Les jeunes du RPG, de l’UFDG, de l’ANAD, des militaires, des civiles, tout corps confondu et toute faute confondue, viol, opposition au troisième mandat, drogue et coup d’Etat, tout le monde. C’était donc pour nous un lieu d’unité. Et, je plaide à ce qu’on puisse libérer le maximum de prisonniers  pour qu’ils ne puissent garder que ceux qui restent. Et, ceux qui restent, il faut qu’on arrive à trouver la solution, à ce que ça soit un lieu de réinsertion. Que des jeunes puissent apprendre, des jeunes gens qui vont faire 18 ans ils ne travaillent pas, ils n’apprennent pas un métier, ils se radicalisent. Donc, aujourd’hui, c’est un lieu de radicalisation et non un lieu de réinsertion.

J’ai beaucoup travaillé avec la nouvelle administration pénitentiaire. Parce que mon arrivée en prison à coïncidé au lendemain de l’évasion de Siddy. Et, immédiatement, toute la direction ancienne qui était là est partie. Moi je n’ai pas connu l’ancienne direction, j’ai connu une nouvelle direction avec le directeur national adjoint avec qui nous avons eu un très bon rapport avec les autres pénitentiaires pour qu’on discute de qu’est-ce qu’il faut faire. A l’église, nous avons commencé à réformer, à demander à ce que les églises viennent en prison, parce que c’est un lieu de réinsertion. Nous avons commencé à discuter avec l’équipe de la mosquée. Nous avons là-bas des salles que les colons avaient construites comme la salle de saponification, la menuiserie, le froid, les menuiseries, mais qui sont aujourd’hui devenus toutes des cellules remplies. Il faut libérer pour que rapidement on puisse transformer en un centre de formation et d’apprentissage. Et, cela peut générer énormément d’argent. Si cela est le cas, on peut faire ça pour toutes les autres prisons du pays. Que la prison soit une exception et non pas la règle, comme c’est le cas aujourd’hui. Ce qui est grave d’ailleurs, c’est trouver des gens qui ont fait plus de 10 ans qui n’ont jamais été présentés à un juge. Même pour des délits légers. Pour que tu sois programmé au parquet, il faut que tes parents partent voir un juge ou un procureur pour donner de l’argent. C’est ça la question. Donc, si tu n’as pas un parent qui peut voir son proche, tu ne seras jamais programmé. Alors que c’est quelque chose qui devrait être automatique. La loi a défini des périodes, mais tout ça n’est pas fait. La prison, il n’y a pas de budget. Donc, ils ne peuvent pas nourrir correctement les gens, parce qu’il n’y a pas d’argent. Ils ne peuvent pas traiter, tu te traites toi-même. Vous voyez beaucoup de parents qui sont en train, au moment où vous êtes en prison, d’envoyer ta nourriture. Je pense que cette prison doit être fermée automatiquement comme le 3 avril ils ont fermé le camp Boiro, qu’on pense à trouver plutôt des réinsertions et non des lieux de radicalisation. C’est ce que j’ai constaté.

Guineematin.com : Maintenant que vous êtes libre, quelle est la prochaine étape de votre combat politique pour la Guinée ?

Kéamou Bogola Haba : La prochaine étape, elle est simple. Nous avons demandé que monsieur Alpha Condé parte. Et, nous avons passé des élections contestées. Mon camp, qui est l’ANAD, a dit qu’il a gagné. Nous avons d’autres qui n’ont pas pu participer à cette élection, tels que d’autres membres du FNDC. Donc, il faut que nous nous retrouvons plus rapidement, les 4 coordinations régionales qui se sont battues contre le troisième mandat, parce qu’il faut faire la précision, dont Elhadj Sekouna et son équipe, le FNDC, le CTG, l’ANAD et les autres parties politiques mais pas n’importe qui. Nous demandons automatiquement que les démagogues se détachent du CNRD, parce qu’ils (les militaires) sont venus pour mettre fin au troisième mandat. Les militaires devaient prendre le pouvoir parce que les civiles n’ont pas respecté leur engagement. Les militaires ont été déliés de leur engagement de l’accord de Ouagadougou parce que nous n’avons pas respecté la nôtre qui est celle de démocratiser le pays. Et donc, automatiquement, il faut que nous nous retrouvions au tour de Doumbouya qui a la bonne volonté pour qu’on avance. Moi j’ai été le premier à s’attaquer à la CEDEAO, avant ma sortie de prison, pour leur dire qu’ils sont restés complètement inaudibles par rapport à la question de condition de droit de l’homme et à la question du troisième mandat. Aujourd’hui, nous les appelons plutôt à s’associer rapidement à nous et au CNRD pour qu’ensemble nous puissions trouver les moyens financiers le plus rapidement que possible pour maintenir la stabilité du pays, pour préparer des élections, revoir le fichier électoral et également s’occuper des questions de COVID, les questions de réforme. Monsieur Alpha Condé est aujourd’hui en détention et cette détention doit être formalisée par une plainte pour que nous puissions justifier que même si on doit le libérer maintenant avant qu’il parte dans un pays d’asile, mais qu’il sache qu’il a un compte à régler avec la justice. C’est la première des choses à faire.

Les ministres ou les hauts cadres, des dignitaires à qui on reproche des choses qu’ils soient rapidement saisis d’une convocation et qu’un dossier soit ouvert contre eux. Qu’ils sachent déjà qu’ils sont poursuivis par la justice. Même s’ils fuient, on dira qu’ils ont fui et on pourra les lancer des appels. Donc, il faut respecter la loi vis-à-vis d’eux. On ne peut pas demander à ce que la loi soit respectée pour nous et que nous ne respectons pas la loi pour eux aussi. C’est ce que nous souhaitons que le CNRD puisse mettre en place et nous sommes prêts à s’associer. Doumbouya doit être soutenu parce qu’il est en train de travailler conformément à ce qui doit être fait. Donc, la vengeance n’est pas de notre culture, nous voulons réconcilier les guinéens, unir et servir. C’est ça notre leitmotive et nous sommes sur cette direction-là. Il faut réunir tout le monde. Mais, celui qui doit répondre devant la loi pour les faits commis, qu’il soit poursuivi dans la justice qui est notre deuxième élément de notre devise. Et la solidarité viendra évidemment s’associer. Des démagogues doivent d’abord se dissocier de cette affaire de CNRD. Ceux qui changent de veste, ils doivent arrêter. Parce que nous devons rapidement laisser ces jeunes-là travailler et avec des gens propres qui ne sont pas là pour s’enrichir, mais qui veulent que le pays change pour que nous soyons égales aux autres.

Guineematin.com : Parlez-nous un peu de la vie de votre famille. Comment a-t-elle vécu votre absence ?  

Kéamou Bogola Haba : Vous savez, ma famille est très croyante, très chrétienne. Ma famille ne vit pas en Guinée. Mon épouse et mes enfants vivent à l’étranger. Je suis venu en Guinée en novembre 2019 uniquement pour cette cause-là, c’est-à-dire l’alternance pour laquelle je me suis battu depuis longtemps. Ma famille certainement n’avait pas apprécié, parce qu’être dans des zones de confort, d’expatriation et je laisse tout ça pour venir. C’était d’abord le premier choc. Ce choc-là, la famille l’a subi et j’ai passé plus d’un an dans la lutte avec le FNDC et finalement avec l’UNAD, ensuite l’ANAD. Donc, la peine était toujours là. A cela est venue ma privation de liberté et ça c’était le pire. Mais, comme c’est une famille croyante, nous avons toujours dit que c’était un plan de Dieu. Parce que pour nous, nous sommes venus en mission sur terre. Chaque fois que Dieu a besoin de nous, il crée des conditions et il t’envoie en mission. Partout où Dieu t’envoie, on doit briller. La famille a géré comme ça. C’est pourquoi mon épouse, à ma sortie, j’ai vu sa communication. Elle a dit que je sais que mon mari s’en sortira parce que notre Dieu ne nous a jamais trahis. Ma famille a toujours cru en Dieu dans la prière et également, mes enfants, c’était la même chose. Hier, j’ai parlé avec mes enfants, ils étaient tous contents. Ils m’ont dit : ‘’papa on t’as vu à la télé et nous sommes contents’’. Et, c’est pour cela que la satisfaction est grande.

Interview réalisée par Mohamed Guéasso Doré pour Guineematin.com

Tel : +224 622 07 93 59

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