Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yimbering Diallo

Cher ami,

Tu as dû apprendre la nouvelle. Celle de ma consécration. Pour être précis, na nomination au poste de ministre. C’est bien évidemment un rêve qui se réalise. Même s’il est indéniable que mon précédent poste n’était pas aussi modeste qu’on le croit. Bien au contraire. Je n’étais certes pas ministre mais j’avais un poste stratégique. Je pouvais même devenir président de la République au cas où. Mais cet autre rêve est une autre histoire.

Je voudrais revenir donc à la réalité. Celle-ci me donne davantage raison d’avoir changé de camp. Tu te souviendras que quand j’ai quitté mon ancien parti pour adhérer au nouveau j’ai fait l’objet de toutes sortes de critiques. Mes anciens collègues me traitant de tous les noms d’oiseau. Or avec la nouvelle promotion, l’histoire me donne raison qu’il fallait changer de camp.

Quelqu’un m’a fait remarquer récemment que la classe politique de notre pays manque de conviction. S’adressant à moi indirectement, il a dit que dans les pays démocratiques, un homme politique–avec grand H- reste membre d’un seul parti pendant toute sa vie. Même si, ajouta-t-il, ce parti ne parvient jamais à conquérir le pouvoir. Il a cité le cas du FN en France.

Me sentant personnellement visé par sa remarque incongrue, je lui ai rétorqué que non seulement le FN pourrait arriver au pouvoir en France mais que la situation est différente entre là-bas et ici. L’opposition française n’est pas confrontée au gaz lacrymogène et à la prison mais aussi ses responsables sont à l’abri du petit besoin. Ce qui est loin d’être le cas ici.

Les années pendant lesquelles j’étais membre de l’opposition, j’ai connu une situation peu enviable. Organiser chaque mois des manifestations et inhaler du gaz, pendant que le leader du parti se met à l’abri sous d’autres cieux en donnant des instructions.  Cela ne pouvait pas durer indéfiniment. Pire, il y avait la pression familiale. Les miens me reprochaient de rouler pour le principal opposant puisque j’ai le malheur de porter le même patronyme que lui. Cette situation était intenable pour moi.

Ce qui a fait que je ne me suis pas fait prier pour devenir traitre pour certains et convertis pour d’autres, au sens de George Clémenceau. Pour moi, la politique n’est pas une religion. Je quitte les uns et rejoins les autres au gré de mon intérêt. Bref, au lieu de justifier une décision prise il y a de nombreuses années, je dois revenir au factuel. C’est-à-dire à ma nomination. Mais aussi au départ de mon prédécesseur. Lequel doit voir des remords.

En effet, alors qu’il faisait l’unanimité à la société civile, sa nomination comme membre du gouvernement n’a été pour lui qu’un cadeau empoisonné. Il a géré ce département clé à un moment où le pays était conforté à une situation difficile. Il aurait dû faire un travail extraordinaire. Malheureusement ses marges de manœuvre étaient limitées. Et il ne s’est pas battu pour changer les choses ou faire comme son prédécesseur à ce poste.

Mais ce n’est pas le cas de mon prédécesseur qui doit me préoccuper. C’est le mien. Et c’est justement l’objet de ma lettre. Je voudrais que tu m’assistes dans la mesure du possible. A travers des conseils, des propositions et bien évidemment à travers tes relations avec les deux camps : le pouvoir et l’opposition. Mon ambition c’est de faire changer les choses positivement. Et vite.

Mais j’ai bien peur. Car aussitôt nommé, les choses commencent plutôt mal pour moi. Tout d’abord on m’a proposé d’aller remercier ceux qui ont œuvré pour ma nomination. Ce sont eux qui auraient convaincu le patron de la nécessité de se débarrasser de mon prédécesseur mais aussi de le faire remplacer par moi. Du coup, il faut aller saluer et remercier les gens-là.

On m’a expliqué qu’en allant il ne faudrait surtout pas aller les mains vides. Mais le prix de la kola  qu’on m’a proposé est plus qu’exorbitant. J’ai eu l’impression que les intermédiaires ont leur part du butin. Je vais me débrouiller pour trouver une enveloppe. Même si elle ne sera à la hauteur de leur espoir.

Après ce déplacement, ce ne sera pas fini. On m’a expliqué qu’il faudrait aussi prévoir un autre déplacement. Cette fois pour aller saluer et remercier le grand patron lui-même. Là il ne faudrait pas envoyer une enveloppe. Mais des engagements. Surtout ceux d’œuvrer pour la victoire éternelle du parti. Ceux aussi de mettre l’opposition hors d’état de nuire. Ce dernier point m’a laissé perplexe. Car je croyais qu’on allait plutôt me demander de tout mettre en œuvre pour renouer le fil du dialogue avec cette opposition.

Bien évidemment mon attitude et comportement seront scrutés à la loupe. Parce que, en dépit de tout, je suis encore perçu par certains collègues comme un militant de la 25ème heure. C’est autant dire que je n’ai pas droit à l’erreur. Au risque de t’ennuyer, je vais devoir m’arrêter là en te priant de me répondre rapidement. Surtout pour me dire quelle est, à ton avis, la conduite qu’il faudrait adopter. Car nouvelle responsabilité, nouveau défi.

Ton ami le nouveau ministre Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que coïncidence.

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