Conakry sous la menace d’une surcapacité hôtelière

Depuis quelques années, la Guinée enregistre d’importants investissements dans le secteur de l’hôtellerie. A en croire les autorités en charge du tourisme, plus d’une centaine d’établissements hôteliers ont été construits depuis 2010, parmi lesquels, des grandes chaines hôtelières mondiales et régionales comme Sheraton, Onomo, Noom….

D’autres hôtels de haut standing comme Kaloum, Palm Camayenne, Millenium suite, Riviera… contribuent également à redorer l’image de l’hôtellerie guinéenne. Le déficit de capacité hôtelière des années 2010 n’est donc, désormais, qu’un lointain souvenir, du moins dans la capitale Conakry.

La capacité hôtelière du pays est estimée à 6188 chambres en 2018 contre 2060 chambres en 2010. Dans la capitale Conakry, où sont localisés la plupart des investissements, on annonce une croissance de plus de 300% de la capacité hôtelière durant cette période, passant de 1152 à 3670 chambres.

Ainsi, grâce à l’implantation des grands hôtels d’affaires, Conakry concentre aujourd’hui plus de la moitié de la capacité hôtelière du pays. Cet impressionnant dispositif hôtelier est accompagné d’importantes retombées sur l’ensemble de l’économie à cause de son effet catalyseur. En plus des opportunités économiques, fiscales et de création d’emplois qu’ils représentent, les investissements hôteliers ont des effets d’entrainement sur les autres secteurs de l’économie nationale comme la construction, le commerce, les activités du secteur des services…

Mamoudou Kouyaté, Enseignant chercheur
Mamoudou Kouyaté

Cependant, derrière ce beau décor, se cache un réel problème de dysfonctionnement. Les hôtels de Conakry sont presque vides. Les taux d’occupation sont en dessous de 30% et pour cause : la faible fréquentation touristique et la flambée des capacités dans le haut de gamme.

La croissance effrénée de l’offre hôtelière se heurte aujourd’hui à une demande touristique presqu’insignifiante et instable. Après une augmentation significative des arrivées touristiques en 2011(soit 131070 touristes internationaux) qui avait donné espoir aux investisseurs hôteliers, celles-ci ont chuté à seulement 60424 visiteurs en 2016. Même s’il est possible d’expliquer cette chute spectaculaire de la demande touristique par l’apparition de l’épidémie d’Ebola en 2014 et la chute des prix des matières premières sur le marché mondial, entrainant la suspension de la plupart des travaux miniers en Guinée, il faut reconnaitre qu’aucune mesure concrète n’a été prise jusqu’ici pour renverser cette tendance. La Guinée arrive presqu’au dernier rang avec à peine 1% des arrivées touristiques de la sous-région ouest africaine en 2016, contre 15% pour la Côte d’ivoire et le Sénégal chacun.

Il ne suffit pas de créer les hôtels, il faut les remplir ! Ce cri de cœur du Directeur Général d’un réceptif de la place résume parfaitement aujourd’hui, l’amertume des hôteliers à Conakry. Selon eux, l’image négative du pays, perçue à l’étranger à travers le prisme les tensions sociopolitiques et le taux de criminalité élevé, entame la confiance des touristes et des investisseurs.

La construction des nouveaux hôtels à Conakry, surtout leur concentration sur le segment ‘‘affaire’’ et la faiblesse des arrivées touristiques ont créé une surcapacité hôtelière entraînant une baisse drastique des taux d’occupation et le ralentissement des activités des hôteliers. Pendant ce temps, ces derniers doivent continuer à faire face aux charges d’exploitations exorbitantes à cause du coût élevé de l’électricité et de l’utilisation de groupes électrogènes pour pallier les délestages électriques.

Quoiqu’il soit plaisant de constater l’arrivée de nouveaux réceptifs sur une destination presqu’inconnue comme la Guinée et qui en manquait de façon criarde ces derniers temps, l’on ne peut se permettre de croire que le simple agrandissement du parc hôtelier suffit pour dissiper les problèmes d’un secteur aussi mal caractérisé et longtemps resté en marge des priorités des pouvoirs publics. Après l’ouverture des hôtels, d’autres réalités s’imposent !

Si les activités touristiques ne sont pas développées, s’ils n’existent pas d’initiatives cohérentes de structuration de l’offre et de promotion de la destination en vue d’accroitre la demande, et si la santé économique n’est pas bonne, il est à craindre que l’on soit en train d’aller droit dans le mur. Heureusement que les autorités en charge du tourisme sont les premiers à tirer la sonnette d’alarme.

En attendant, la surcapacité hôtelière ayant pour corolaire la chute des taux d’occupation, place les hôteliers dans une situation de gestion à court terme. Avec la baisse des charges d’exploitation que cela implique, nous risquons d’assister dans les prochaines années, si rien fait, à la réduction des emplois et la dégradation de la qualité des services. Le Grand Hôtel de l’Indépendance, ex Novotel, en fait déjà les frais. Cet établissement de référence dans un passé récent à Conakry recouvre à peine aujourd’hui les charges salariales, en témoignent les nombreuses grèves des employés.

Mamoudou Kouyaté, Enseignant chercheur

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