Bras Cassé dégaine : « c’est des artistes très maudits qui iront chanter pour Alpha Condé »

Abdoulaye Souapite Camara, Bras Cassé

Comme annoncé dans un précédent article, l’artiste Abdoulaye Sawpit Camara, plus connu sous le nom de Bras Cassé, a été agressé récemment par des hommes en uniforme à son domicile à Coyah. L’auteur du son fétiche « Alpha Banban Farî », en hommage au président Alpha Condé, et sa famille ont été molestés à Mengueta, relevant de la sous-préfecture de Wonkifong.

Dans une interview accordée à un reporter que Guineematin.com a dépêché à Mangata, Bras Cassé est revenu sur sa mésaventure, sur ses rapports avec le président Alpha Condé qui l’a « mal récompensé ». L’artiste dénonce également les promoteurs du 3ème mandat, notamment les artistes sur lesquels il tire à boulets rouges.

Guineematin.com : pourquoi vous appelle-t-on Bras cassé ?

Abdoulaye Sawpit Camara : j’ai eu un choc et mon bras s’est cassé. Depuis, les gens m’ont surnommé Bras cassé pour se moquer de moi.

Guineematin.com : le lundi, 15 avril 2019, vous avez reçu la visite d’hommes en uniforme qui vous ont malmené avec votre famille. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Abdoulaye Sawpit Camara : je n’en sais rien. J’ai vu seulement, vers 20 heures 28 minutes, des gens qui sont venus dans deux pick-up. Ils étaient 26 personnes (24 personnes, plus les 2 chauffeurs). C’est quand ils sont remontés dans leurs véhicules que j’ai pu les compter. Ils sont venus tout en me dépassant. D’autres sont allés derrière ma maison. Les voitures ont été garées à environs 400 mètres de ma maison. Il y avait coupure de courant et ils sont venus à pied. Ils sont rentrés, le chauffeur et le militaire qui gardait les véhicules sont sortis aussi et ont dégagé tous ceux qui étaient avec nous. Les gens ont couru pour alerter la population et demander aux gens de fuir. Tout le monde a fui. C’est ainsi qu’ils sont rentrés dans ma cour. J’ai salué deux d’entre eux et j’ai demandé où ils vont. Ils disent : on s’en fout de ça, pourquoi tu nous demande ? Et ils ont continué dans ma cour, dans ma maison. Il y a un de mes jeunes frères et mes petits fils qui sont venus en disant : Papa, il y a beaucoup de militaires qui sont venus derrière la cour. Qu’est-ce qui ne va pas ? Je me suis levé et je suis allé les voir. J’ai dis : qu’est-ce qu’il y a ? Ils ont dit : on s’en fou de toi. J’ai dit : C’est pour moi ici, c’est ma concession. Ils ont dit : on s’en fout de toi. Si c’est toi Bras cassé, on s’en fout de ça et on va casser l’autre bras aussi. Ils ont insulté ma mère. Ma femme aussi a répliqué. Un autre parmi mes proches est venu demander s’il n’y pas de responsable à Mengueta ? Pourquoi cette pagaille ? Est-ce que vous avez laissé une convocation ? Ils se sont attaqués à ce monsieur aussi. Ils l’ont terrassé. Ils m’ont mis à terre et ils ont déchiré nos chemises. C’est en ce moment qu’ils m’ont roué des coups au niveau du bras et au niveau des côtes. J’ai demandé pardon. Mais, comme j’étais mal habillé, pour eux, ce n’était pas moi Bras cassé. Si non, ils allaient me tuer là-bas. C’est ainsi qu’ils se sont attaqués aux autres membres de ma famille et il y a eu de la bagarre dans la cour. Il n’y avait pas de courant. J’avais un enfant très intelligent, celui-ci est parti photographier les plaques des deux véhicules. Dans cette pagaille, un jeune a dit : Allez-y amener de l’essence on va brûler leurs véhicules. C’est ainsi que leur chef de mission a dit : replions, replions. Ils sont tous montés dans les pick-up et je suis venu m’arrêter devant la voiture, ma famille est venue me récupérer. J’ai dit qu’ils vont me tuer ici parce qu’ils sont venus pour ça. L’un d’entre eux a dit : Tu vas nous trouver à la présidence, au palais. J’ai dit d’accord. Pendant tout ce temps, je ne savais pas qu’un de mes enfants avait pris le numéro des véhicules. Quand je suis revenu, il m’a dit : reste tranquille, voilà les numéros de leurs véhicules. J’ai appelé le préfet qui a envoyé des gens sur le pont de Coyah pour les intercepter. Ils les ont interceptés. Ils ont dit qu’ils sont venus chez moi et ils sont rentrés ; mais, qu’ils se sont trompés. Ce n’était pas chez moi qu’ils venaient. Mais, quitter le KM36, traverser des milliers de concessions pour venir rentrer chez Bras cassé ? Qui est en Guinée qui ne connait pas Bras cassé ? Ils sont venus du KM36. Nous avons identifié leurs voitures : pour la police, le numéro du véhicule c’est PN 600001 ; pour la gendarmerie, c’est GN 251547. Dès que j’ai dit ça, le lendemain, c’est général Bafoé qui m’a appelé pour me demander qu’est-ce qui ne va pas. Dès que je lui ai donné les numéros, il a automatiquement dit : l’un, c’est pour la gendarmerie, et l’autre, c’est mon département. Il dit : je vais les convoquer demain, ils vont me répondre. Mais, jusqu’à présent, je n’ai pas reçu un appel de lui. Le général Baldé aussi ne m’a pas appelé. C’est pourquoi j’ai dit : les militaires relèvent du gouvernement, les véhicules sont du gouvernement. Donc, c’est Alpha Condé qui a dit aux gens de venir me tuer, parce que c’est moi qui ai chanté Cowboy Mou Condoboy Domma. Ils allaient me tuer et repartir sans trace. Ils ont pris un journaliste, jusqu’à présent, il n’y aucune trace. Mais, comme j’ai eu les numéros des véhicules qui appartiennent au gouvernement, je me suis dis que c’est prémédité. C’est quelque chose qui a été organisée pour venir m’éliminer. C’est pourquoi les gens, quand tu les aides à être chef, après demain c’est toi qu’il va tuer le premier. Même son marabout qui a écrit pour lui afin qu’il soit chef, il va le tuer. J’ai dit que c’est ça. Donc, pour mon cas, c’est Alpha Condé. Les personnes qui l’entourent aujourd’hui sont des zéros. Ils sont venus chez Alpha pour de l’argent. Avant-hier, ils n’étaient pas pour Alpha. Aujourd’hui, ils sont pour lui parce qu’il y a l’argent.

Guineematin.com : nous avons appris qu’après l’incident, le préfet de Coyah est venu vous rendre visite. Est-ce qu’on peut savoir de quoi il a été question ?

Abdoulaye Sawpit Camara : il est venu avec le secrétaire général chargé de l’administration, le député de Coyah, Sékou Camara, le sous-préfet de Wonkifong et beaucoup d’autres. Mais, quand ils sont venus, ils ont parlé de l’affaire de Dieu. Ils m’ont dit que c’est un fait de Dieu. Donc, de pardonner. J’ai dit que j’ai pardonné, parce que je n’ai pas été tué.

Guineematin.com : on ne vous a toujours pas dit pourquoi ces gens sont venus vous agresser ?

Abdoulaye Sawpit Camara : c’est des menteurs. C’est eux qui ont fait. C’est eux qui ont organisé cela. Les membres du gouvernement. C’est eux. Comment ils peuvent venir me dire quelque chose ? Est-ce qu’un membre du gouvernement m’a même appelé pour me demander qu’est-ce qui s’est passé ? Ou bien qui d’entre eux m’a envoyé même 100 GNF ? Même le préfet qui est venu, il ne m’a pas donné, même 100 GNF. Il n’a pas dit : lève-toi on va aller à l’hôpital pour vérifier ton état de santé. Il ne l’a pas fait. Juste me dire : pardon à cause de Dieu. C’est Dieu qui me l’a fait ? Les gens qui m’ont agressé sont déjà identifiés. Comment ils peuvent rester comme ça sans réagir ?

Guineematin.com : on a appris que le Président Alpha Condé n’a pas pensé à vous malgré la nature de vos relations.

Abdoulaye Sawpit Camara : Mais, bien sûr. Il m’avait promis. Il a dit à son chargé de mission, à Ousmane Bangoura, communément Sossé Banna, à Mimy Coumbassa, l’ancienne femme du général Toto, qui s’est remarié avec monsieur Bernard, questeur à l’Assemblée nationale : Allez-y chercher une villa, je vais remettre à Bras cassé. Ils ne l’ont pas fait. Par après, il a dit à Kiridi Bangoura : Va chez madame Sultan, il va lui remettre un tracteur, après je vais le payer même si c’est en deux tranches. Il dit : comme il a aimé l’agriculture, on va l’aider dans ça pour qu’il nous laisse. Pourquoi ça aussi ? Des artistes ont été jusqu’au Brésil, mais, avant que je chante pour le Président, aucun autre artiste guinéen n’avait osé le faire avant qu’il ne soit Président. C’est après qu’il soit Président, ils ont commencé, sauf peut-être Zangué de Kindia qui a chanté : Alpha Condé, Woulè Baragnon. Mais, A Banban Farî, aucun artiste guinéen ne pouvait dire ce jour qu’il allait battre Lamah Sidibé avec sa musique : Cellou Laamikè. Personne, aucun chanteur malinké ne pouvait. C’est quand je suis venu avec A Banban Fari, c’est ce qui a terrassé Cellou Dalein et qui a transcendé tous les soussous, tous mes parents Bagas. Ils sont venus pour remplir le panier d’Alpha Condé. C’est ce qui fut fait, A Banban Fari ha Sékoutouréya’’.

Guineematin.com : est-ce que vous regrettez aujourd’hui d’avoir soutenu Alpha Condé ?

Abdoulaye Sawpit Camara : non ! Je ne le regrette pas. Moi, c’est mon père, parce qu’il est le père de la nation. Je ne le regrette pas. Mon père m’avait dit qu’il faut aider tous les hommes qui vivent sur cette terre. S’ils te récompensent par le bien, tu dis Dieu merci et s’ils te récompensent mal, dis aussi Dieu merci, que c’est ça que Dieu a voulu pour toi. Mais, que tu continues toujours à aider. Moi, Alpha ne m’a rien fait. Il ne m’a rien dit de mal. Mais, c’est son entourage qui me fait mal. Ce n’est pas Alpha. Je n’accuse pas le Professeur Alpha Condé. Ici, je l’accuse seulement parce que c’est lui qui a intégré les militaires mal formés pour venir me faire du mal. Et, c’est dans les voitures gouvernementales. Si les responsables de ces voitures ne sont pas identifiés, je dirais que c’est le Président qui n’a pas manifesté son désir parce qu’eux, ils sont là-bas. Ils ne font rien pour ce pays. Ils ne cultivent rien pour cette nation. Ils sont là-bas et ils prennent des milliards appartenant aux guinéens. Ils achètent des véhicules PRADO et construisent des villas pour donner à des femmes. Les gens qui vous ont aidé à être dans cette situation, c’est eux que vous combattez. Je ne suis pas du tout d’accord. Je n’ai rien de mal contre Alpha Condé ; mais, comme je suis vieux, Alpha, qu’il le sache ou qu’il ne le sache pas, 1961 on était au lycée classique ensemble. C’est nous qui avions commandité la première grève des étudiants et Sékou Touré l’a transformé en un coup d’Etat. Si un vieux comme moi danse pour lui aujourd’hui dans toutes les préfectures ; mais, qu’il reconnaisse et qu’il me distingue parmi les artistes. S’il ne me distingue pas parmi les artistes, je dirais que c’est lui la cause. C’est lui qui les a envoyés et je peux jurer que c’est lui. Ceux qui combattaient Alpha Condé, ce sont eux aujourd’hui qui sont des ministres et qui ont tout. Ils sont ambassadeurs et c’est eux qui se fichent de moi. C’est pourquoi, je me fais rare à Conakry. Quand je viens, où je vais rentrer ? Je vais aller dans le bureau de qui ? Ils étaient anti Alpha Condé. Quand Lansana Conté était là, ils étaient anti Alpha Condé. C’est ceux-là qui envoient aujourd’hui des gendarmes contre moi pour me tuer. Qu’est-ce que j’ai dit ? Quelles sont les preuves ? Ils n’ont qu’à me monter les preuves palpables de ce que j’ai dit ou fait pour dire par exemple : tu as chanté ou tu as dis cela ou bien tu as manifesté dans tel endroit et on t’a vu dans tel ou tel groupe.

Guineematin.com : aujourd’hui, il y a une velléité de modifier la constitution pour permettre au Président Alpha Condé de continuer à diriger le pays. Il y a même certains artistes qui commencent à se mobiliser pour apporter leur soutien au projet. Est-ce que vous qui aviez chanté pour lui, vous êtes prêts à mouiller encore le maillot pour le soutenir ?

Abdoulaye Sawpit Camara : Non ! Même pas malgré ce qui m’est arrivé. Moi, j’aide quelqu’un à devenir président pour qu’il m’aide. S’il ne m’aide pas, je ne serais plus pour lui. Mais, je ne l’insulterais pas et je ne lui ferais pas du mal. Je m’assois chez moi. Je ne manifeste pas et je ne fais rien. Ces artistes maudits qui veulent partir là-bas, manifester pour Alpha Condé, ils n’ont qu’à partir parce que c’est des maudits. C’est des artistes très, très maudits. A cause de quoi ? Quand tu vas manifester là-bas, tu n’auras que 50.000 ou 100.000 GNF. On dit : c’est pour le parti. Mais, quel parti ? Moi, je ne suis pour personne. Je suis chez moi ici. J’ai alerté tout le monde entier sur mon sort. Même l’ambassade des Etats-Unis et celui de la France, tous sont informés. Ils veulent me tuer. Les gens qui veulent aller jouer demain samedi, ils n’ont qu’à aller, c’est leur affaire. Moi, j’ai été bastonné, j’ai mon corps qui me fait mal. Un vieux comme moi, qui a 72 ans, qui a été bastonné avec tous les membres de sa famille par 26 hommes armés jusqu’aux dents avec des pistolets et des PMAK, venus au bord de deux pick-up, je ne veux aller. Quel militaire dira en Guinée qu’il ne connait pas Bras cassé ? Mais, avant de quitter votre base, vous allez dire c’est où votre destination. Vous ne pouvez pas dire qu’on vient chez Momo et vous rentrez chez Bras Cassé.

Guineematin.com : onc, vous n’allez plus chanter pour Alpha Condé ?

Abdoulaye Sawpit Camara : non ! Il n’en est plus question. Ce que j’ai chanté d’abord, je n’ai pas récolté. Ce que j’ai semé n’est pas encore récolté. Je te dis que le Président Alpha Condé doit me soutenir et me distinguer parmi les artistes. Mais, je sais qu’il ne va pas le faire parce qu’il a des escrocs Soussou qui l’entourent. Moi, je ne connais personne parmi ce groupe, si ce n’est que le Pr Alpha Condé. C’est lui que j’ai aidé. Même si tout le monde me donne ; mais, c’est Alpha que j’ai aidé, ce n’est ni Paul, ni Pierre. Ça aussi c’est pour deux causes. La première chose, c’est grâce à mon ami, Malik Sankhon. La deuxième cause, c’est grâce à sa sœur, Hadja N’Sira Condé. Pourquoi ? Hadja N’Sira Condé, son mari, Sékouba Bob Camara, fut le premier garçon d’Elhadj Bounia Sory Camara de Faranah. Et ma femme, Aldjinè Camara, fut la dernière fille d’Elhadj Bounia Sory Camara. Ma femme m’a dit : si tu es chanteur, fais tout pour aider Alpha Condé parce qu’il est mon beau frère. J’ai dit à ma femme que je suis d’accord, je vais l’aider. Si non, on était tous PUP. Il y a même des artistes malinkés qui ont refusé de chanter pour Alpha Condé. Ils disent qu’ils ne peuvent pas chanter pour deux présidents. Si nous, on a osé chanter pour Alpha Condé, vraiment, c’est à cause de ma femme et de mon ami. Les gens refusent même de venir s’entretenir avec le Président parce que les artistes eux, peuvent dire la vérité au Président ; mais, ils n’ont pas accès au Président. Ils sont bloqués par ceux qui sont autour d’Alpha Condé. Quand tu mets un menuisier comme ministre de la Culture ; ça veut dire quoi ? Tu l’as amené là-bas juste parce que vous êtes apparenté ou bien il a fait ceci ou cela pour toi. Mais, il ne connait pas l’affaire de la culture.

Guineematin.com : aujourd’hui, c’est Sanoussy Bantama Sow qui est le ministre de la Culture. Vous voulez dire qu’il ne connait pas le domaine ?

Abdoulaye Sawpit Camara : mais, est-ce que Bantama Sow a été artiste ? Est-ce qu’il connait quelque chose dans la musique ? Tu l’as vu danser ? Tu l’as vu taper le tam-tam ou le balafon ou la flûte ou bien la guitare? Non ! Il n’est pas un artiste. Il gère notre argent pour rien. Moi-même je devrais être aujourd’hui dans le ministère à défaut être au moins dans la fonction publique parce que depuis 1961 je suis artiste, au Collège Cour 2. Demandez au Bembeya Jazz quand ils sont venus.

Guineematin.com : vous avez parlé tout de suite de votre ami Malik Sankhon, est-ce qu’il vous a contacté depuis que cet incident s’est passé ?

Abdoulaye Sawpit Camara : Non ! Il n’était pas là. Il était en voyage parce que lui aussi, il était malade. Si non, j’allais parler contre lui aussi. Mais, il n’était pas là et il ne connait pas ce qui s’est passé.

Guineematin.com : quel est le mot de la fin ?

Abdoulaye Sawpit Camara : je dirais à tout le monde que je suis dans l’insécurité et je demande en même temps un SOS parce que je suis malade. Ma femme, mes enfants et moi sommes tous malades par suite de cette bastonnade que les policiers et gendarmes nous ont infligée. Ce n’est pas parce que je suis à mesure de vous parler ; mais, nous souffrons. Donc, je demande un SOS pour qu’on nous vienne en aide. Ils ont tapé ma femme et l’ont blessé au niveau de la tête, ils ont tapé sur les côtes. Ces agents m’ont beaucoup fatigué ce jour.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box