Construction du barrage Souapiti : le « bonheur » qui fait couler des larmes

Présenté comme un réel motif de bonheur pour les guinéens qui rêvent de finir avec les délestages du courant électrique, le barrage hydro-électrique de Souapiti (dont les travaux de construction ont démarré en décembre 2015) fait déjà couler des larmes. Les promesses d’indemnisation (après déguerpissement) des populations riveraines du site ne seraient que de la poudre aux yeux, au préjudice des pauvres paysans qui doivent quitter la « terre ancestrale » au profit de « l’intérêt public ».

En conférence de presse hier, lundi 22 juillet 2019, l’union pour la défense des sinistrés de Souapiti (UDSS) a dénoncé le « non-respect des engagements » pris par l’Etat guinéen et la situation alarmante dans laquelle vivement aujourd’hui les citoyens de certaines localités déguerpis de la zone dudit barrage, rapporte un journaliste de Guineematin.com qui était à la maison de la presse.

C’est visiblement la grande honte du fameux projet de construction du gigantesque barrage hydro-électrique de Souapiti sur le fleuve Konkouré. Derrière les yeux doux des responsables de ce projet qui fait rêver le guinéen lambda, se cacherait une situation alarmante qui sacrifie les activités (agriculture et élevage) des pauvres paysans. Des paysans réunis aujourd’hui au sein d’une association (UDSS, créée il y a deux mois) pour attirer l’attention des autorités guinéennes sur ce qu’ils vivent actuellement.

Avec le slogan « Oui à Souapiti, mais ne nous sacrifiez pas ! », l’union pour la défense des sinistrés de Souapiti a conféré ce lundi avec une cohorte de journalistes à Conakry. Une rencontre qui aurait été précédée d’une enquête que l’UDSS aurait effectuée auprès des « populations victimes » du projet Souapiti.

Me Oumar Aïssata Camara, le porte-parole de l’Union pour la défense des sinistrés de Souapiti
Me Oumar Aïssata Camara, le porte-parole de l’Union pour la défense des sinistrés de Souapiti

« Les 1er et 02 juillet dernier, l’union s’est retrouvée pour dépêcher une délégation dans les localités touchées par le projet Souapiti. Ils ont commencé les activités par Madina-Tayré (situé à quelques mètres du barrage de Kaléta) où les déguerpis de Tayré ont été installés… Nous avons constaté que sur les 450 bâtiments qui ont été recensés à Tayré, seuls 260 ont été construits à Madina-Tayré. Donc, tous ceux qui avaient construit deux à trois bâtiments à Tayré n’ont eu droit qu’à un seul bâtiment à Madina-Tayré. Et, chez nous, vous verrez une famille de 12 personnes et plus… Et, aujourd’hui, cette famille de 12 personnes est obligée de vivre dans une maison de deux ou trois chambre. Tout cela à cause de l’insuffisance des bâtiments », a indiqué Me Oumar Aïssata Camara, le porte-parole de l’UDSS.

En plus de l’insuffisance des maisons pour accueillir les déguerpis de Tayré, Me Oumar Aïssata Camara dénonce la qualité des bâtiments.

« Vous ne pouvez pas comprendre qu’un bâtiment soit construit ; et, au bout d’un an et quelques mois, qu’il soit fissuré de la toiture au soubassement. Pire, vous entrez dans ce bâtiment, vous voyez que le plafond coule. Comme pour dire que les tôles ne sont pas de qualité », a-t-il ajouté.

Pour le porte-parole de l’UDSS, les populations de Tayré vivent aujourd’hui un « calvaire » à Madina-Tayré. Car, soutient-il, aucune indemnisation n’a été effectuée pour les arbres fruitiers (plus de trois mille recensés à Tayré).

« Chez nous, le palmier sauvage a plus de rentabilité que quelqu’un qui a deux ou trois voitures à Conakry. Il y a parmi nous ici des enfants dont leurs mères ont été épousées à travers le résultat de ces palmiers-là… vous savez qu’il y a la faim dans ce pays. Et, lorsque nous n’avons pas d’argent pour acheter les kilos de riz, on se contente des mangues. Mais, ce projet a ignoré les manguiers, les orangers, les avocatiers… Il estime que cela n’a aucune importance. En tout cas, rien n’a été fait pour aucun arbre », a précisé Me Oumar Aïssata Camara.

Selon nos informations, le projet de construction du barrage de Souapiti affecte les populations de Tènè (dans la préfecture de Kindia), Nabayah (dans la préfecture de Dubréka) et Soulekourou (dans la préfecture de Télimélé). Des populations qui vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage ; et, qui seraient aujourd’hui contraints à vivre dans « des magasins » (maisons de mauvaises qualité) où ils ont été installés.

« Les gens n’ont pas où cultiver le riz. Ils n’ont pas où surveiller leurs animaux. Pour preuve, ceux qui ont quitté Tayré pour Madina-Tayré ont leurs animaux qui se sont tous retournés en brousse. Parce que les animaux ne peuvent quand même pas partager le salon de la maison les gens. Il y a un monsieur qui vit à Madina-Tayré qui est obligé de payer chaque jour 60 000 francs guinéens pour faire un aller-retour pour surveiller ses animaux en brousse… Les gens ont été regroupés dans des endroits où il n’y a pas de travail. Et, les jeunes passent tout le temps à faire du thé », a indiqué Me Oumar Aïssata Camara.

En plus de ces maux, le porte-parole de l’UDSS dénonce le manque d’eau potable à Tayré. « Le projet a fait trois forages. Mais, quand vous puisez l’eau de ces forages, quinze minutes après, l’eau change de couleur et devient imbuvable. Même le projet aurait déconseillé de boire cette eau. Donc, pour boire, les gens payent 5000 francs guinéens pour aller puiser de l’eau dans un fleuve qui est tout près de Kaléta », s’est-il alarmé, tout en précisant que « les populations riveraines de barrage Souapiti n’ont pas été indemnisées encore ».

L’union pour la défense des sinistrés de Souapiti dénonce aussi l’isolement du village Houloufa dont les voisins ont tous été déguerpis. « Même s’il y a un décès aujourd’hui dans ce village, les gens sont obligés de faire recourt à des villages qui se trouvent à plus de 10 kilomètres de leur position… Le constat est le même à Koba-Séléyabhè. Il semblerait que le projet leur a dit que même les cases qui sont au centre du village seront emportées par l’eau. Mais, avec tout ça, rien ne leur a été montré comme endroit où ils doivent partir, rien ne leur a été donné aussi », a dit Me Oumar Aïssata Camara.

S’agissant des villages (woléyah, Tènè-Kansa, …) qui doivent accueillir les déguerpis des autres localités, l’UDSS révèle que c’est trois millions de francs guinéens qui ont été déboursés pour près de 80 hectares à occuper. D’ailleurs, explique Me Oumar Aïssata Camara, le projet du barrage Souapiti est allé jusqu’à opposer certaines familles. « Il tient une promesse pour Paul qui est en désaccord avec ses frères à cause de la promesse qu’il vient de recevoir. Comme pour dire que Paul doit accepter d’être de leur côté, au détriment de sa famille », a dit le porte-parole de l’UDSS, tout en tant précisant qu’à Tènè-Maléyah, les populations sont actuellement menacées de déguerpissement forcé.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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