Détentions préventives prolongées en Guinée : 9 ans, 9 mois et 2 semaines sans jugement…

Placée sous mandat de dépôt le 18 août 2011 et écrouée à la maison centrale de Conakry pour « coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner », Fatoumata Lamarana Bah était devenue l’une des oubliées de la justice guinéenne. Elle a passé 9 ans 9 mois et 2 semaines en prison sans être jugée pour les faits qu’on lui reproche et dont elle ne nie pas avoir commis. Et, dans cette affaire, la partie civile est même devenue introuvable, a appris un reporter de Guineematin.com qui suit cette affaire.

En Guinée, la justice est souvent pointée du doigt pour les détentions préventives prolongées et abusives de citoyens en conflit avec la loi. Le respect des dispositions du Code de procédure pénale sur la détention provisoire est parfois le cadet des soucis des parquets. Et, cette attitude de ces magistrats, symbole d’un mépris à l’égard de la loi et des personnes en conflit avec la loi, porte préjudice aux prévenus et accusés en attente de jugement dans les différentes prison du pays. C’est clairement une violation des droits des détenus à bénéficier d’un procès juste et dans les délais impartis par la loi. Et, pourtant, il n’existe aucun vide juridique en la matière. Car, le Code de procédure pénale, dans sa section 3, paragraphe 1, articles 236, 237 et suivants, règle clairement la question.

« En matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur à 6 mois d’emprisonnement, l’inculpé domicilié en Guinée ne peut être détenu plus de 5 jours, après sa première comparution devant le juge d’instruction, s’il n’a pas déjà été condamné soit pour un crime, soit à un emprisonnement de plus de 3 mois sans sursis, pour infraction de droit commun. Dans les autres cas, la détention provisoire ne peut excéder 4 mois. Si le maintien en détention au-delà de 4 mois apparaît nécessaire, le juge d’instruction peut, avant l’expiration de ce délai, décider la prolongation par ordonnance spécialement motivée, rendue sur les réquisitions également motivées du procureur de la République. Aucune prolongation ne peut être prescrite pour une durée de plus de 4 mois sans que la durée totale de la détention provisoire ne dépasse 12 mois, sauf si l’inculpé est poursuivi pour avoir participé à la commission des infractions de détournement de deniers publics, vol de bétail, traite d’enfants auxquels cas une prolongation exceptionnelle de 4 mois sera accordée. Toutefois, saisi de réquisitions du procureur de la République tendant au placement en détention provisoire, si le juge d’instruction estime que cette détention n’est pas justifiée, il est tenu de statuer sans délai par ordonnance motivée qui est immédiatement portée à la connaissance du procureur de la République.

En matière criminelle, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà de 6 mois, après sa première comparution devant le juge d’instruction s’il n’a pas déjà été condamné à un emprisonnement de plus de 3 mois sans sursis, pour infraction de droit commun. Toutefois, si le maintien en détention au-delà de 12 mois apparaît nécessaire, le juge d’instruction peut, avant l’expiration de ce délai, décider la prolongation par ordonnance spécialement motivée rendue sur les réquisitions également motivées du procureur de la République pour une durée de 6 mois. En aucun cas, la durée totale de la détention ne peut excéder 18 mois, sauf si l’inculpé est poursuivi pour avoir participé à la commission des infractions suivantes : crime de guerre, crime de génocide, crime contre l’humanité, crime d’agression, terrorisme, trafic de stupéfiants, pédophilie, crime organisé, crime transnational ou atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. La durée peut, dans ces cas, être portée à 24 mois », lit-on dans le Code de procédure pénale.

En termes clairs, en matière criminelle (puisque c’est de cela qu’il s’agit dans l’affaire Fatoumata Lamarana Bah), la détention provisoire ne doit en aucun cas dépasser 24 mois (soit 2 ans). Mais, dans le cas de la pauvre accusée Fatoumata Lamarana Bah, ce délai a été largement dépassé. Elle est poursuivie pour « coups et blessures ayant entrainés la mort sans intention de la donner », une infraction prévue et punie par l’article 243 du Code pénal et suivants. Elle est en détention depuis le 18 août 2010 ; et, c’est seulement ce 1er juin 2021 que son dossier a été évoqué devant le tribunal criminel de Mafanco.

A la barre, Fatoumata Lamarana Bah a reconnu sans ambages les faits qui lui sont reprochés et a présenté des excuses. Elle a indiqué avoir agi sous la le poids et que son intention n’était aucunement de tuer sa victime (une femme qui venait de gifler son enfant).

« Un jour, il y a eu un malentendu entre une femme voisine et moi. Suite à cette altercation, elle (sa voisine) est allée gifler mon enfant. Et, quand elle l’a giflé, le sang est sorti. Moi aussi je suis allée chez elle (sa voisine), j’ai pris une eau chaude qui se trouvait dans une de ses marmites, j’ai versé sur elle. On l’a envoyé à l’hôpital, mais elle a succombé à ses brûlures. Je reconnais avoir fait ce qui n’est pas bon. Je demande pardon », a déclaré Fatoumata Lamarana Bah visiblement très éprouvée par les peines de la prison.

Cependant, le ministère public a requis finalement requis 15 ans de prison à son encontre. Mais, Son avocat a plaidé pour une « condamnation au temps mis » en prison. Et, finalement, le tribunal a mis le dossier en délibéré pour décision être rendue le 15 juin prochain.

A noter que Fatoumata Lamarana Bah a été jugé à l’absence de la partie civile. Cette partie au procès serait « introuvable ». Lassée d’attendre un procès qui semble avoir voyagé dans la nuit des temps, la partie civile aurait changé d’adresse sans en informer le parquet de Mafanco. Autant dire que Fatoumata Lamarana Bah avait été jetée dans les oubliettes. Et, comme elle beaucoup d’autres guinéens souffrent actuellement de cette autre forme de violation des droits de l’homme en Guinée.

Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

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