La justice refuse de juger l’ex DG de la LONAGUI : l’Agent Judiciaire de l’Etat s’indigne et exige

Me Mory Doumbouya, Agent Judiciaire de l'Etat
Me Mory Doumbouya
Me Mory Doumbouya, Agent Judiciaire de l'Etat
Me Mory Doumbouya, Agent Judiciaire de l’Etat

L’Agent Judiciaire de l’Etat (AJE), Me Mory Doumbouya, est très en colère contre le magistrat qui devait juger Lansana Chérif Haïdara, ancien directeur général de la Loterie Nationale de Guinée (LONAGUI). Ce dernier est poursuivi par l’Etat guinéen pour détournement de deniers publics. Son procès était prévu pour s’ouvrir hier, mercredi 10 juillet 2019, devant le tribunal correctionnel de Kaloum, mais le juge audiencier a décidé de renvoyer le dossier devant le procureur. Il estime que l’affaire est complexe et que procureur doit ouvrir une information là-dessus. Une décision dénoncée par l’Agent Judiciaire de l’Etat, qui assure que son camp se battra pour que sa citation directe dans ce dossier soit examinée par la justice. Il l’a dit au cours d’une interview qu’il a accordée à Guineematin.com ce jeudi, 11 juillet 2019.

Décryptage !

Guineematin.com : le procès de l’affaire qui oppose l’Etat guinéen à Lansana Chérif Haïdara, ancien directeur général de la Loterie Nationale de Guinée (LONAGUI) a été ouvert hier au tribunal correctionnel de Kaloum. Mais à peine ouverte, l’audience a été suspendue et le dossier renvoyé devant le procureur pour sa complexité, dit-on. En tant qu’agent judicaire de l’Etat, comment vous avez accueilli ce renvoi ?

Me Mory Doumbouya, Agent Judiciaire de l'Etat
Me Mory Doumbouya

Me Mory Doumbouya : ce renvoi procède d’une violation de la loi. Vous savez, en matière pénale, il y a des principes élémentaires à observer. En ce qui concerne la marche du procès pénal, la compétence et la saisine de la juridiction de jugement, je le dis au nom de l’Etat et avec une réelle conviction, sous le contrôle de tous les éminents juristes de ce pays et mêmes du continent, tous ceux qui s’intéressent tant soit peu au procès pénal, je le dis haut et fort : il n’appartient pas à une juridiction de jugement de modifier le mode de saisine choisi par le poursuivant. Nous sommes une partie civile dans ce dossier. Et conformément aux dispositions des articles 443 et suivants du code de procédure pénale, traitant de la compétence et de la saisine du tribunal correctionnel, nous avons, je le dis en toute connaissance de cause, à nos risques et périls, opté pour une citation directe dans cette affaire.

Une citation directe a été servie, à domicile, à l’ancien directeur de la LONAGUI aux fins de provoquer sa comparution hier, 10 juillet, au tribunal correctionnel de Kaloum. Et, pour être en phase avec les règles de la procédure, l’Etat a cru devoir constituer un avocat et qui était présent à l’ouverture des débats. A notre fort étonnement, le dossier a été appelé et renvoyé, dit-on, au procureur pour l’ouverture d’une information. Justement, c’est ce qui contrarie les dispositions légales applicables à la compétence du tribunal correctionnel, notamment les dispositions de l’article 453 du code de procédure pénale. Nous avons opté pour une citation directe.

Dès l’instant que cette voie a été choisie par la partie civile, on s’attendait hier, puisqu’en la matière nous sommes affranchis du paiement de la caution, nous nous attendions hier à ce que le dossier soit évoqué et certainement renvoyé pour la comparution du prévenu puisque nous avions des informations qu’il était en dehors de Conakry. Mais, il ne nous empêchait pas nous d’être à l’audience. Et la seule obligation qui incombe à l’Etat, était de faire en sorte que la citation lui parvienne soit à personne ou à domicile, pour ne pas occulter le principe du contradictoire. Et, cette signification régulière a été faite. Et donc pour nous, hier, le dossier devrait être appelé soit pour l’ouverture des débats en présence du prévenu ou pour un renvoi aux fins de comparution de la personne poursuivie.

Et, en cas de défaillance, les dispositions du code de procédure pénale, les dispositions de l’article 478 donnent possibilité de décerner mandat. Mais, nous n’avons pas compris en quoi le juge audiencier s’est précipité pour dire que le dossier, il est complexe alors que le prévenu n’a même pas comparu. Imaginez si le prévenu venait à reconnaître les faits alors que la formation estime déjà que le dossier est complexe. La complexité d’une procédure doit résulter de la confrontation des idées entre la personne poursuivie et l’accusation. La saisine du tribunal par voie de citation est irrévocable, et aucune décision de ce genre ne pouvait remettre en cause cette saisine qui est régulière et qui procède d’une application régulière de la loi.

Guineematin.com : et donc en l’état, quelles conséquences cette décision pourrait avoir dans la suite de l’affaire ?

Me Mory Doumbouya : cette décision est sans effet pour l’Etat. Pour nous, elle n’a aucun lien avec la citation qui a été servie à la requête de l’Etat. Nous exigeons que la citation directe qui a été servie à l’ancien directeur de la LONAGUI soit, en bonne et due forme, renvoyée à l’audience. Toute défaillance à ce point-là, risque de nous obliger à entamer des procédures pour déni de justice.

Guineematin.com : concrètement, qu’est-ce que vous comptez-faire ?

Me Mory Doumbouya : nous sommes déjà à l’œuvre. Nous allons demander à la même formation de reprogrammer cette procédure-là pour que notre citation directe soit évoquée, pour que les débats soient ouverts sur le rapport de l’inspection générale d’Etat qui est la pièce fondamentale sur laquelle les débats doivent se tenir. Donc, notre position est très claire là-dessus, notre citation directe va être examinée.

Il n’est pas question d’ordonner l’ouverture d’une information. Puisque nous, nous n’avions pas opté pour ça. Nous savions qu’on pouvait saisir un juge d’instruction par la voie d’une plainte avec constitution de partie civile, on ne nous apprend pas les règles élémentaires de la procédure pénale, notamment les modes de saisine. On pouvait opter pour cette voie. Mais, comme je le disais, à notre risque et péril, nous avons opté pour une citation directe. Comme on le dit dans un langage traditionnel ordinaire, on ne peut pas être plus royaliste que le roi.

Guineematin.com : vous dénoncez la décision du juge audiencier dans cette affaire, est-ce que pour vous, ce magistrat ne connaît pas bien la loi ou bien il est de mauvaise foi ?

Me Mory Doumbouya, Agent Judiciaire de l'Etat

Me Mory Doumbouya : non, ça serait de déplacer le débat en disant qu’un juge est de mauvaise foi. Nous estimons seulement que cette décision ne procède pas d’une application régulière des dispositions du code de procédure pénale. Il s’agit des articles 443 et suivants, je l’avais rappelé, qui se comportent à la compétence et à la saisine du tribunal correctionnel. Nous avons, en tant que partie civile, estimé que pour un mode de saisine, en droit, en procédure pénale, la juridiction de jugement n’a aucune prérogative de modifier ce mode de saisine là. Imaginez, et s’il s’agissait d’une procédure de flagrant délit ? Voilà. Sauf en cas de circonstances prévues par la loi, où il serait établi que les conditions d’une flagrance n’étaient pas réunies. C’est dans des circonstances comme ça qu’une information pouvait être ordonnée.

Mais pour nous, il s’agit d’une citation régulière qui est faite. Et le tribunal a l’obligation de prendre cette citation, de l’examiner dans la limite de ses prétentions et les moyens qui sont articulés par le poursuivant, et qui se rapportent à un cas de détournement présumé de deniers publics. Même si le prévenu est présumé innocent, le débat est attendu au niveau de l’Etat. Notre position, je le disais dans une précédente interview, que du côté de l’Agence Judiciaire de l’Etat, toutes les dispositions sont prises pour porter devant les tribunaux les rapports réguliers transmis à notre service par l’inspection générale d’Etat.

Maintenant, il ne s’agit pas pour nous de porter les actions devant le tribunal, notre rôle est de suivre, de suivre la marche des procédures engagées, en relations avec les différents rapports de l’inspection générale d’Etat pour faire en sorte que ces dossiers ne soient pas simplement engagés pour distraire la population qui a intérêt à savoir qu’est-ce que la justice fait du traitement de ces dossiers rocambolesques de détournements de deniers publics. Nous y avons tous intérêt, et l’agence judicaire de l’Etat s’emploiera à faire un suivi constant pour que les dispositions de la loi en matière de répression des détournements de deniers publics, que les procédures engagées par la partie civile soient totalement prises en compte.

Il n’est pas question pour nous faire une parodie de justice et de faire un semblant de procédure. Encore une fois, je dis que la décision d’hier n’a aucun lien avec la procédure engagée par l’Etat. Et, je vous garantis que nous userons de toutes les voies appropriées, toutes les voies légales, pour que notre citation directe soit examinée comme il se doit. Parce qu’il n’y a pas une autre raison de ne pas examiner cette citation directe ; sauf si ouvertement, quelqu’un nous disait : voilà, moi je suis pour le détournement des deniers publics, auquel cas l’Etat n’hésiterait pas à prendre ses responsabilités.

Guineematin.com : c’est la fin de cet entretien, à moins que vous n’ayez un dernier mot.

Me Mory Doumbouya : le dernier mot, c’est toujours à l’attention de la justice. Vous savez, comme je vous le disais, une justice doit être juste. Et voilà, le magistrat doit marquer toute son indépendance dans le respect de la loi. Dès que l’on s’écarte un peu de l’application de la loi, l’indépendance du magistrat tombe. Donc nous, en tant que poursuivant, du côté de l’Etat, nous disons que nous ne baisserons pas les bras tant que nous serons saisis par l’inspection générale d’Etat. Et, des poursuites régulières seront toujours engagées et nous veillerons à ce que les décisions soient toujours prononcées par les juridictions de notre pays pour rassurer la population. Voilà ce que j’avais à vous dire en dernier ressort.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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