03 avril 1984 : « ce coup d’Etat a mis la Guinée en retard », dit Elhadj Momo Bangoura

Le 03 avril 1984, une semaine après la mort de Sékou Touré, l’armée guinéenne prenait le pouvoir après 26 ans de règne du PDG-RDA. Trente cinq (35) ans après ce coup d’Etat, les anciens dignitaires de ce régime gardent encore les souvenirs de cette date qui a vu le système s’écrouler comme un château de cartes.

Pour parler de cette date, qui fait de moins en moins parler d’elle, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre du doyen Elhadj Momo Bangoura, aujourd’hui président d’honneur du PDG-RDA, qui fut entre-autres, gouverneur de région.

Guineematin.com : il y a de cela 35 ans depuis que les militaires ont pris le pouvoir en renversant le PDG-RDA. Vous qui avez été un des acteurs de la gouvernance du PDG, que représente cette date pour vous ?

Elhadj Momo Bangoura : le 03 avril 1984, c’est la finalité du combat de la guerre que le PDG-RDA, que la Guinée indépendante a eu à subir dès le lendemain de la proclamation de la République, le 02 octobre 1958. Nous avons voté NON, le 28 septembre 1958 et la Guinée a été proclamée indépendante le 02 octobre 1958. Et très curieusement, cela a fait beaucoup de mal à la France. Parce que, les conséquences du vote du 28 septembre 1958, cela a eu pour conséquences la dislocation de l’empire colonial français.

Les autres territoires africains ont demandé eux aussi leur indépendance et cela a eu lieu en 1960. Donc, pour la France, l’agent causal de la dislocation de son empire, c’est le vote de la Guinée. C’est pourquoi, la France nous avait déclaré la guerre d’indépendance. Et, quand je dis déclaration de guerre d’indépendance, ce n’est nullement par exagération, non. Les décideurs français l’ont dit eux-mêmes, que c’est eux qui ont déclaré la guerre à la Guinée. Nous avons aujourd’hui les documents incontestables pour ça.

Par exemple, le dernier gouverneur de l’AOF, Pierre Messmer, il a fait son livre, je l’ai à la maison ici. L’ultime secrétaire général du Général De Gaule, Jaques Foccart, j’ai ses documents ici. Et, c’est lui que le Général De Gaule avait désigné pour tuer, mais il n’a pas réussi à la faire. C’est à un an avant la mort d’Ahmed Sékou Touré, Jaques Foccart est venu à Conakry ici. Il est venu se présenter à Ahmed Sékou Touré, « je viens te demander pardon. J’ai tout fait pour t’assassiner, je n’ai pas réussi à le faire.

Cela m’est arrivé rarement, je te demande pardon, je suis venu pour ça ». Ahmed Sékou Touré a accepté ce pardon. C’était en 1983, un an avant sa mort. C’est pour vous dire que ce que je dis, ce n’est pas par exagération, ni par invention. Les complots dont on vous parle ici, les ragots qu’on vous raconte ici, que Sékou Touré inventait des complots pour tuer des intellectuels, ce sont des ragots, ce sont des mensonges grossiers. J’ai des livres des agents secrets français. Il y a par exemple La Piscine, c’est un livre de deux agents secrets français.

Ils ont écrit dans ce livre que le Général De Gaule a donné l’ordre de faire des complots en Guinée ici. Et, pendant plus de 20 ans, il y a eu ces complots-là ici. Le point culminant de ces complots a eu lieu à Conakry ici. C’est l’agression du 22 novembre 1970. Cette agression-là, était conduite par des portugais.

Pour quelle raison ? Parce que la Guinée-Bissau, qui est notre voisine, avait pris les armes contre les Portugais pour leur indépendance. Et la Guinée-Bissau avait comme base, Conakry ici, avec leur chef, Amilcar Cabral. Donc, c’est pourquoi le Portugal a été à la tête de cette agression. Mais malheureusement pour eux, l’agression a échoué et les agresseurs ont échoué.

Guineematin.com : la prise du pouvoir par l’armée guinéenne en 1984 a mis fin au régime du camarade Ahmed Sékou Touré. Pour vous, les militaires auraient dû laisser le PDG-RDA continuer son règne ?

Elhadj Momo Bangoura : normalement, la suite du pouvoir devait continuer. Les personnes devaient changer, mais le pouvoir devait continuer. Mais, après la mort d’Ahmed Sékou Touré, ceux qui ont eu à combattre le régime d’Ahmed Sékou Touré étaient là encore, même pendant les funérailles de celui-ci.

Par exemple, le Premier ministre Français, Pierre Monroua, était-là. C’est en ce moment que les militaires ont été préparés à succéder au régime d’Ahmed Sékou Touré. Et, le 03 avril 1984, les militaires ont pris le pouvoir. Ils ont alors arrêté tous les dignitaires du PDG-RDA, y compris moi. Nous avons tous été arrêtés le 03 avril 1984. Mais, nous, nous n’avons fait qu’une journée au Camp Alpha Yaya.

Guineematin.com : à votre avis, qu’est-ce qui a changé en Guinée après le coup d’Etat du 03 avril 1984 ?

Elhadj Momo Bangoura : ça, c’est autre chose. L’économie guinéenne a été mise à terre. Parce que les usines, les industries qui étaient installées à Conakry ici et à travers toute l’étendue de la Guinée ; ces usines-là, au nom de ce qu’ils appellent le système structurel, les usines ont été supprimées. Par exemples, le complexe textile de Sanoyah, l’Entreprise des Tabacs et Allumettes de Guinée (ENTAG) ont été supprimés. L’huilerie de Dabola ou-bien l’usine qui fabriquait les outils agricoles à Mamou, tout cela a été supprimé du temps du régime militaire.

Guineematin.com : d’aucuns saluent des avancées avec la venue des militaires au pouvoir. Il y a notamment la libération des prisonniers qui étaient détenus au Camp Boiro, l’instauration du multipartisme politique, le libéralisme économique. N’est-ce pas là des actions salutaires ?

Elhadj Momo Bangoura : non, je n’appelle pas ça actes salutaires. La prise du pouvoir par l’armée n’est pas un acte salutaire. Vous avez entendu parler du Camp Boiro. Mais au fond, pourquoi Camp Boiro ? Il y avait un commissaire de police du nom de Mamadou Boiro qui a été jeté de l’avion par un groupe de militaires qui a été arrêté à Labé. Eh bien, c’est le commissaire de police Mamadou Boiro qui devait les conduire à Conakry ici en prison. Mais, en plein vol, ils ont jeté Mamadou Boiro à terre. Il est mort écrasé à terre. C’est le gouvernement d’Ahmed Sékou Touré pour pérenniser son nom, a donné le nom de ce commissaire au Camp Boiro.

Guineematin.com : beaucoup de personnes saluent des avancées avec la venue des militaires au pouvoir. Qu’en dites-vous ?

Elhadj Momo Bangoura : je te dis que les prisonniers ont été libérés avant la mort d’Ahmed Sékou Touré ! Je veux parler des prisonniers de la guerre d’indépendance. Ils ont été libérés avant la mort d’Ahmed Sékou Touré.

Guineematin.com : est-ce que selon vous, le coup d’Etat du 03 avril 1984 a mis la Guinée en retard ?

Elhadj Momo Bangoura : dans mon entendement, ça a mis la Guinée en retard. Parce que les usines ont été détruites, on a mis en chômage des milliers de travailleurs à travers la Guinée. Voilà la situation.

Guineematin.com : vous avez vécu les trois régimes de Sékou Touré à Alpha Condé en passant par Lansana Conté. Quelle comparaison pouvez-vous faire de ces trois régimes ?

Elhadj Momo Bangoura : ça, c’est la vie de la nation. Quand nous accédions par exemple à l’indépendance, la Guinée était à un niveau donné. Pendant les 26 ans du PDG-RDA, sous l’égide d’Ahmed Sékou Touré, il y a eu un progrès considérable qui a été constaté en Guinée ici, malgré la guerre que nous subissions. Parce qu’effectivement, nous avions subi la guerre. Donc, malgré cette guerre-là, il y a eu un progrès considérable sur l’étendue du territoire national et cela dans tous les domaines.

Guineematin.com : quel est le mot de la fin ?

Elhadj Momo Bangoura : bon, je suis actuellement à la maison. Je bénéficie de deux retraites. Sur le plan administratif, j’ai maintenant plus de 30 ans de retraite. Quand les militaires ont pris le pouvoir, le CMRN (Comité Militaire de Redressement National) a constitué un programme à la radio et à la télévision. Ce programme était chargé de vilipender à Ahmed Sékou Touré, le père fondateur de la nation guinéenne. Quand j’ai constaté cela, j’ai écrit personnellement au gouvernement le priant à cause de Dieu et de son prophète (PSL) lui demandant de me mettre à la retraite.

C’est ainsi qu’on m’a mis à la retraite. Donc, j’ai été mis à la retraite par anticipation pour ne pas participer à cette action-là. Alors, je n’ai repris les actions que quand on a parlé de la création des partis politiques en 1991, 1992. Là, nous avons relancé le Parti Démocratique de Guinée (PDG) parce que le parti avait été supprimé le 03 avril 1984. Après 20 ans, avec mon âge avancé, j’ai demandé ma mise à la retraite dans ce parti-là aussi. A l’heure actuelle, je ne suis que le président d’honneur du PDG-RDA.

Propos recueillis par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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