CFP de Matoto : « c’est un atelier fatigué, installé depuis 1980 »

Les Centres de Formation Professionnelle (CFP) de notre pays sont abandonnés par le département de tutelle. En plus du manque d’enseignants, qui sont de plus en plus vieillissants, s’ajoutent la vétusté des matériels, le manque d’engouement des jeunes et la faiblesse des moyens financiers mis à la disposition de ces centres. Pour toucher du doigt cette triste réalité, un reporter de Guineematin.com a fait un tour au CFP de Matoto hier, lundi 22 avril 2019.

Dans un entretien accordé à notre reporter, Oumar Baïlo Diallo, formateur à la Section Menuiserie Industrielle, est revenu sur diverses difficultés qui touchent le CFP de Matoto.

Guineematin.com : que pouvez-vous nous dire sur l’historique du CFP de Matoto ?

Oumar Baïlo Diallo : cette école a été créée en 1980. On l’appelait IFI (Institut de Formation d’Instituteurs). Après l’IFI, on a créé l’Institut Supérieur de Formation Technique (ISFORPT), ensuite Ecole Nationale d’Enseignement Supérieur Technique(ENSET).

L’Ecole a été divisée en deux : on a créé l’Ecole Nationale Technique (ENT), qui est chargée spécialement pour la formation des formateurs qui est présentement gérée par monsieur Mamadou Saliou Baldé. On a mis le CFP comme le centre d’application.

Donc, ici c’est un centre d’application. L’école est devenue Centre de Formation Professionnel en 1981. En 1981 le temps de formation, c’était deux ans pour toutes les spécialités. Mais, après la mort de Sékou Touré, les programmes ont été révisés. On a vu que certaines spécialités, il fallait absolument les trois ans. Il fallait qu’il y ait une conformité aux autres centres de l’intérieur. Vous ne pouviez pas faire Matoto seulement deux ans et les autres 3 ans. Donc, on a évolué jusqu’à ce qu’un projet d’appuis Canadien est venu pour instaurer une formation de système. C’est-à-dire une approche qu’on appelle Approche Par Compétence (APC). Par exemple, Donka n’utilise pas l’APC. Eux, c’est la Pédagogie Par Objectif (PPO).

Guineematin.com : quelles sont les filières que l’on rencontre au CFP de Matoto ?

Oumar Baïlo Diallo : il y a la Menuiserie, qui a une durée de 3 ans, compte tenu du volume de son programme ; la Maçonnerie, qui a deux ans ; l’Electricité Bâtiments, deux ans ; la Plomberie, deux ans. La Chaudronnerie et la Mécanique auto, c’est 3 ans chacune. Dans le cadre de la Menuiserie, la première année, c’est une initiation. En 2ème année, c’est l’ébénisterie, les meubles plus la menuiserie intérieure, c’est-à-dire les portes, fenêtres, plafonds, placards. En 3ème année, on les met dans le génie civil où ils n’ont pas besoin de meubles. On les envois dans les entreprises, ils évoluent en alternance où ils passent beaucoup plus de temps à l’extérieur qu’à l’atelier.

Guineematin.com : qu’est-ce qu’on peut dire des effectifs de vos classes, d’autant plus que l’engouement n’est pas de taille pour les CFP ?

Oumar Baïlo Diallo : ici, j’ai un effectif de 20 élèves pour les trois promotions. Ça baisse. Le problème c’est quoi ? Les jeunes ne savent pas ce qu’ils veulent. Il faut que je le dise comme ça. Pour moi, les jeunes n’ont pas de conviction. Ils ne viennent pas dans les centres de formation professionnelle parce qu’ils veulent avoir un métier. Ils viennent dans ces centres parce qu’ils ont échoué au brevet ou au baccalauréat, parce qu’ils ont un frère en Occident qui dit pour que je puisse t’aider à venir, il te faut un diplôme. Tout est conditionné. Personne ne quitte l’université pour venir chercher le métier. De là, jusqu’à l’intérieur du pays, l’effectif est très réduit. Les enfants n’ont pas la conviction.

Guineematin.com : avez-vous des filles au sein de votre centre ?

Oumar Baïlo Diallo : ça a fait une décennie je n’ai pas eu des filles. Sinon, avant il y en avait. Mais, il y a une décennie je n’ai pas eu des filles ici. Les filles n’aiment pas la menuiserie. Elles sont beaucoup axées en Plomberie et Electricité. Là où il n’y a pas d’effort physique. Je ne sais pas. Elles disent ici, elles évitent la saleté, les machines coupent les doigts des ouvriers. Donc, elles n’aiment pas venir en Menuiserie.

Guineematin.com : quelle méthodologie utilisez-vous pour former les jeunes ?

Oumar Baïlo Diallo : nous les formons individuellement. Le problème en matière de formation, le travail de groupe ne fait pas la formation. Il faut qu’il y ait un travail individuel. Au dehors, vous avez trouvé des chaises et des bureaux. C’est le camp Alpha Yaya Diallo qui a commandé et on a confié à partir des modules de fabrication des meubles en 2ème année. Chaque élève, une chaise. Là, c’est évaluable. Si vous mettez 2 ou 3 élèves sur une chaise, ça ne peut pas marcher. Vous ne saurez jamais qui a fait quoi. L’avantage ici, ce n’est pas le produit fini qui nous intéresse, c’est le processus. Ici, l’avantage, c’est que c’est l’élève même qui s’auto-évalue. Il trace, il vous présente les tracés et vous validez. S’il doit couper le bois, il trace, il vous présente, vous l’autoriser à couper, il coupe, il renvoi encore, vous validez. Il y a une fiche de suivi où vous notifiez tout. Avec une pondération, à la fin, vous compilez ces notes pour lui donner une moyenne qu’on appelle seuil de réussite. Logiquement sur 100 points, il a environs 80 ou 75 points. Ça dépend de l’exercice. Donc, s’il n’a pas atteint son seuil de réussite, il doit reprendre. Ça, c’est dans le cadre des évaluations formatives. Dans le cadre des évaluations, ça c’est une évaluation après le module, il doit avoir une grande évaluation. Et là, l’évaluation, ce n’est pas faire une chaise, il s’agit là, par exemple de faire une pièce d’une chaise. Par exemple le pied arrière d’une chaise. C’est une évaluation. C’est de savoir s’il a compris. S’il ne réussi pas à faire ce pied arrière, il devient cessionnaire, il reprend une fois, deux fois. S’il ne réussi pas, il attend l’année prochaine.

Guineematin.com : quelles sont les difficultés que vous rencontrés au sein de ce centre ?

Oumar Baïlo Diallo : d’abord, je vais vous dire que l’enseignement technique est très vieillissant. La ressource humaine est fatiguée. Parce que, moi j’ai fini mes études en 1978. Cela me fait 40 ans de service. Je n’ai pas plus de 5 ans qui me reste. Et sachez que ceux qui viennent n’ont pas de compétence. Au niveau des ressources humaines, on est en train de recruter des gens qui n’ont pas la main. Ça, c’est un problème. Quand vous prenez par exemple un mécanicien qui est sorti de l’université, il est bourré de théorie, mais il n’a pas la main. Il ne peut pas ouvrir un moteur. Si vous le confiez à former des enfants, il va faire quoi ? Surtout nous sommes dans un système qu’on appelle approche par compétence. C’est « faire, et faire faire ». Si tu ne peux pas faire, tu ne peux pas dire à quelqu’un de faire. Il faut que le professeur fasse une démonstration. Dans ce cas, l’apprenant va absolument réussir. Parce que, dès que tu fais la démonstration, l’apprenant est obligé de comprendre, il ne peut pas dire que c’est difficile. Parce qu’il a compris que c’est faisable. Donc, c’est là le hic. Le problème des ressources humaines. Vous pouvez aller dans une section où vous n’avez que trois. Je suis passé à Labé la dernière fois je trouve deux professeurs de menuiserie pour trois promotions. Vous imaginez ? Donc, la norme n’est plus là, 18 heures de cours par semaine ce n’est plus possible. Moi, je suis le seul qui gère une 3ème année. Ça me fait les 36 heures. Ensuite, nos collègues ne cherchent pas à se perfectionner. Ça aussi, c’est un problème. Le guinéen est très paresseux. Surtout notre génération. On dit, on est arrivé à ce stade là, ce n’est plus la peine de se fatiguer.

Guineematin.com : quelles sont les autres difficultés sur le plan financier et matériel ?

Oumar Baïlo Diallo : sur le plan financier, ça ne va pas du tout. Je vous dis qu’on peut faire toute l’année, on n’a pas un franc pour la formation des jeunes. En Menuiserie, après les évaluations, après les études de faisabilité, il faut absolument au moins de 5 millions de francs guinéens pour former un jeune en 3 ans. Mais, si tu as 5 millions pour une vingtaine de personnes toute l’année, ça ne peut pas marcher. Donc, dans le domaine financier, ça ne vas pas du tout. C’est à partir des prestations que nous faisons avec les gens de l’extérieur qu’on parvient à former les gens. Sur le plan matériel, c’est un atelier fatigué, installé depuis 1980. Vous imaginez ? Depuis 1980, il y a des machines qui tournent ici. Mais ça travaille. On n’a même pas besoin d’un autre mécanicien. C’est nous même qui faisons le dépannage. La dernière machine ici date de 2005. Donc, nous utilisons les machines de 1981 et de 2005. Le petit outillage, nous l’achetons au marché.

Guineematin.com : quel message avez-vous à lancer à l’endroit des autorités ?

Oumar Baïlo Diallo : je demande au gouvernement guinéen, à l’enseignement technique, il faut qu’il y ait une volonté politique au niveau du gouvernement pour qu’il donne une importance à l’enseignement technique. C’est de nous aider à convaincre les jeunes pour qu’ils viennent dans les centres de formation professionnelle. C’est plus avantageux.

Propos recueillis par Saidou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 620 589 527/654 416 922

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