3ème mandat pour Alpha Condé ? « ce sera une erreur monumentale », avertit Kabèlè Camara

Me Abdoul Kabèlè Camara, président du Rassemblement Guinéen pour le Développement (RGD)

La question du 3ème mandat est aujourd’hui sur toutes les lèvres en Guinée. Même si le principal concerné, le professeur Alpha Condé, ne s’est pas encore ouvertement prononcé sur la question, mais il y a des signes qui trompent pas. D’ici là, des voix s’élèvent pour clouer au pilori les agitateurs et autres promoteurs d’une modification de la Constitution en faveur de l’actuel locataire du palais Sékhoutouréyah.

Parmi les nombreux adversaires de cette idée, figure maître Abdoul Kabèlè Camara, président du parti Rassemblement Guinéen pour le Développement (RGD). Dans une interview accordée à un reporter de Guineematin.com, maître Kabèlè a dit tout le mal qu’il pense de cette question.

Guineematin.com : vous multipliez les rencontres avec les acteurs politiques guinéens. Après Cellou Dalein et Sidya Touré, on vous a vu avec Dr Faya Millimouno. Quel est l’objectif de ces rencontres ?

Abdoul Kabèlè Camara : le Rassemblement Guinéen pour le Développement (RGD) a élaboré un calendrier de visite à l’intention de tous les partis politiques, progressistes, patriotes, qui sont en train de se battre pour la consolidation des acquis démocratiques ; mais surtout pour l’alternance démocratique en Guinée, en un mot, pour la consolidation et la préservation de notre Constitution.

Le RGD se fait le devoir de rendre visite à tous les partis politiques, sans exclusion, et leur adresser ce message de large coalition de l’ensemble des partis politiques, non pas pour se dresser contre un parti ou un homme ; mais simplement, dans l’intérêt exclusif et supérieur de notre pays et de nos braves populations qui ont besoin de paix, de justice, de sécurité et qui ont besoin de sortir de la pauvreté. Ces rencontres s’inscrivent dans ce sens. Qu’est-ce qui est essentiel pour nous aujourd’hui en Guinée ?

Quelque soit nos sensibilités politiques, nous devons nous lever tous pour mener une action commune : celle de la préservation de notre Constitution. Il ne faut pas y toucher, il ne faut pas tenter de violer la Constitution, notamment les dispositions des articles 27 et 154. La Constitution, émanation de l’œuvre du CNT, qu’elle soit bonne ou mauvaise, est une Constitution qui nous a permis de gérer notre nation pendant presque bientôt 10 ans, depuis l’arrivée du président en exercice.

Donc, si cette Constitution était considérée comme mauvaise, dès 2011, on aurait dû lancer le processus de changement. Maintenant, il y a tout un programme qui attend les guinéens. Les élections législatives ne sont pas organisées, le mandat des députés a expiré. D’ailleurs, on s’est amusé à faire proroger ce mandat de façon illimitée parce qu’aucune date précise n’a été fixée pour la fin de cette prorogation. Les élections présidentielles sont à nos portes.

D’ici un an et demi, on doit organiser ces élections, c’est la fin du mandat du Président de la République. Devons-nous rester les bras croisés et regarder faire ? Ou faut-il se lever, lancer l’alerte au maximum pour que la loi soit respectée dans ce pays à commencer par la loi fondamentale qui est la constitution guinéenne ?

Donc, c’est pour cette raison que le RGD s’est levé pour conduire des missions de prise de contact avec les autres partis politiques, les anciens, les plus jeunes, toutes les forces vives pour que nous puissions parler le même langage et entreprendre la même action. Je le dis, et en connaissance de cause, que certains sont en train de manœuvrer pour faire admettre l’idée d’un changement de la Constitution.

Nous le savons, nous connaissons les démarches qui sont en train d’être entreprises en ce moment, en coulisse : on distribue de l’argent, nous le savons. Un groupe de femmes est contacté, des groupes de jeunes sont mis sur le chantier pour essayer de distiller cette information concernant le 3ème mandat. Ça sera une erreur monumentale, parce que c’est la meilleure façon de trahir la confiance du peuple de Guinée.

Guineematin.com : qui soupçonnez-vous être derrière ces manœuvres ? Le président de la République ?

Abdoul Kabèlè Camara : mais c’est lui qui a intérêt.

Guineematin.com : selon vous, qui a intérêt à soutenir ces manœuvres ?

Abdoul Kabèlè Camara : mais, c’est celui qui a intérêt. Ecoutez ! L’alternance démocratique, à mon avis, tout le monde en a besoin. Tous les partis politiques, même le RPG a besoin d’alternance. Si nous voulons parler d’une démocratie réelle, même le président de la République actuellement en fonction a besoin d’alternance démocratique puisque, lui-même a toujours souhaité cette alternance démocratique pendant tout le combat politique qu’il a mené du temps du général Lansana Conté et avant lui.

Je pense que c’est un constat. Il a toujours parlé de démocratie, de justice. Le cas échéant, il devra être celui-là qui sera sur la première ligne de combat pour défendre la démocratie, la Constitution. Ne pas toucher à la durée du mandat : un mandat renouvelable une fois et en aucun cas, les deux mandats ne peuvent être dépassés. Donc, celui-là qui s’est battu pendant des années ne devra pas être aujourd’hui sur la première ligne pour violer la Constitution, pour organiser une fraude à la Constitution.

Il ne le fera pas, je suis sûr et certain. Mais, il y a certaines personnes mal intentionnées tout simplement pour des besoins que nous connaissons tous parce qu’ils sont accrochés à l’Etat, ils tentent de lui faire croire que le 3ème mandat est possible. C’est une erreur grave, une trahison, une fraude à la Constitution qui va être organisée.

A cause de cela, le peuple sera là devant et nous tirerons les fondements de la mobilisation du peuple : des dispositions des traités internationaux, des directives de l’UA, de la CEDEAO et également du droit international. C’est très simple et c’est pourquoi dans certains pays, la désobéissance civile est organisée.

Guineematin.com : pensez-vous qu’une telle action va être enclenchée ici aussi ?

Abdoul Kabèlè Camara : bien sûr, parce que le peuple de Guinée ne l’acceptera pas. C’est ma conviction profonde et c’est ce que les sondages ressortent aujourd’hui.

Guineematin.com : est-ce que vous travaillez dans ce sens ?

Me Abdoul Kabèlè Camara : le Président lui-même n’a qu’à faire le sondage au niveau de la population. Il comprendra que le peuple de Guinée n’acceptera pas un 3ème mandat, il n’acceptera pas un changement de Constitution. Il n’y a que des gens mal intentionnés qui, pour des besoins qui leur sont propres, tentent de distiller cette information. Mais, le peuple de Guinée, dans sa grande majorité, est contre. Et, c’est un couteau à double tranchant.

A supposer qu’ils organisent un référendum, si le NON l’emporte, il sera en ce moment l’artisan de son propre départ de la présidence parce qu’il aura été désavoué par le peuple. Et, quand un Président est désavoué, il n’a plus aucun intérêt à rester en fonction. Il organise des élections présidentielles le plus rapidement pour dire au revoir au peuple.

Nous souhaitons que le Président en exercice sorte grandi de ses deux mandats et qu’il puisse passer le relais à d’autres dignes fils du pays et assurer ainsi la continuité et préserver de la manière la plus exemplaire en Afrique de l’alternance démocratique. Le Sénégal vient d’être cité comme exemple, pourquoi pas la Guinée ? Le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire, pourquoi pas la Guinée ? Dans notre sous région, les exemples font légion.

Guineematin.com : vous avez parlé d’une grande coalition des acteurs politiques pour barrer la route au Président de la République au cas où il serait tenté de rester au pouvoir après 2020. Mais, on voit que déjà l’opposition est divisée avec d’un côté l’Opposition Républicaine et de l’autre, la Convergence de l’Opposition Démocratique. Dans quel camp on peut classer votre parti ?

Abdoul Kabèlè Camara : l’opposition n’est pas divisée. Sur ce chapitre, nous défendons la même cause, la Constitution guinéenne. C’est à la portée de tout le monde. On peut avoir des sensibilités différentes. Quand les élections législatives arriveront, il y aura concertation entre les partis politiques. Les partis élaboreront des chartes communes. A l’occasion des élections présidentielles, les partis qui pensent qu’ils peuvent s’unir pour aller vers les élections présidentielles, il n’y a aucun problème. Donc ça, ce n’est pas la division.

Mais aujourd’hui, qui touche à la Constitution, touche aux guinéens, quelque soit leur sensibilité, y compris le RPG. Le RPG défend les principes démocratiques à ce que je sache. Donc, le RPG aussi a intérêt à défendre la consolidation et la préservation de la Constitution. Je le dis et je le répète, tant qu’aussi longtemps, on n’appliquera pas correctement les lois et les règlements intérieurs, notre pays va prendre du recul. Il n’y aura pas de démocratie.

Regardez, quand un président issu d’un parti et qui a été candidat de ce parti, il devient élu. Normalement, il doit quitter la scène politique. Il doit s’éloigner des tendances politiques puisqu’il est de facto, le Président de tous les guinéens. Mais, à quoi on assiste ici en Guinée ? Un Président est élu, normalement il doit passer le relai à un autre secrétaire général ou à un président, lui ne devrait plus aller animer les conférences du parti au siège puisqu’il est le Président de tous les guinéens.

En y allant, il fait de la stigmatisation, provoque la division, la préférence d’une fraction du peuple par rapport à une autre. Donc, c’est de l’injustice. C’est la violation de tous les principes fondamentaux. Le Président doit s’éloigner de toutes les tendances et rester à équidistance des partis. Bien entendu, c’est un être humain et il a été porté à la tête de l’Etat non pas par son parti seulement. Il est élu par le peuple de Guinée au suffrage universel. Son parti n’est pas un parti majoritaire. La preuve, au 1er tour de 2010, quel était son pourcentage ?

C’est la coalition de plusieurs groupes de guinéens patriotes qui l’a porté au pouvoir. En conséquence, il doit rester à équidistance. Mais, il ne le fait pas. Il est au RPG, anime les réunions du RPG, donne des directives au RPG, souvent contre les autres partis. C’est une prise de position systématique en violation flagrante des règles élémentaires de la démocratie. Monsieur le Président de la République doit arrêter de telles manœuvres politiques.

Il doit mettre fin à cela d’ici la fin de son mandat en 2020. Si non, sa situation pourrait s’aggraver, il va quitter la scène politique de façon catastrophique. Parce qu’on n’aura pas reconnu l’homme du peuple qu’il se prônait avant 2010, l’homme de la démocratie, de la justice qu’il se réclamait. Ce serait en ce moment la violation de ses propres aspirations.

Guineematin.com : est-ce que depuis que vous avez quitté le gouvernement vous avez rencontré le Président Alpha Condé ?

Me Abdoul Kabèlè Camara : non. Pourquoi le rencontrer ? Je ne suis pas du genre à aller faire le salamalec à un Président qui a limogé un ministre, ou bien aller encore se mettre à genoux pour demander un poste. Quand je suis rentré en Guinée en 1990, j’ai décidé de travailler dans la profession libérale. Travailler pour moi-même, c’est pourquoi j’ai opté pour le barreau. Je suis devenu avocat après la magistrature au Sénégal. J’ai gardé mon indépendance et je garde cette indépendance encore. Ceux qui pensent que maître Kabèlè peut aller courir pour demander de poste, ils se trompent.

Je suis en rupture avec une telle personnalité et ceux-là aussi qui pensent qu’avec maître Kabèlè, le RGD travaille pour un parti politique, fut-il le RPG ou pour un autre, fut-il un Président Alpha Condé, ils se trompent. Maître Kabèlè n’est dépendant de personne. Il ne dépend que de Dieu, il a foi en Dieu et il est profondément musulman. Personne ne peut me manipuler et je ne manipulerais jamais le RGD au bénéfice d’un autre groupe. Le RGD est un parti comme le RPG, l’UFDG, l’UFR, le BL et les autres partis. Tous ceux qui partageront le même idéal que nous, je leur tendrai la main.

Mais, nous ne serons dépendants de personne. Nous garderons notre dignité, notre personnalité. Mais, nous travaillerons avec tous les patriotes. C’est pourquoi, nous avons organisé ces séries de rencontre pour d’abord féliciter et encourager les anciens qui sont sur le terrain pour toutes les actions qu’ils ont mené pendant des années ; mais, en même temps leur dire qu’il y a une urgence puisque de l’autre côté, la sauce est en train de prendre forme.

Donc, il faut que de toute urgence, nous nous levons pour dire attention, ce que vous êtes en train de préparer, nous sommes au courant. Nous connaissons toutes vos démarches, de nuit comme de jour. Nous connaissons vos stratégies et vos hommes d’ailleurs que vous êtes en train d’envoyer sur le terrain sont très maladroits parce qu’ils ne savent pas interpréter ce que vous voulez dire. Donc, faites attention et nous nous lèverons pour dénoncer des telles manœuvres.

Il faut préserver la Constitution. C’est un droit et tous les guinéens doivent dire NON au changement de Constitution et NON au 3ème mandat. Et le RGD mènera ce combat avec tous les patriotes, quelque soit leur tendance politique, leur sensibilité. L’essentiel, c’est la défense de la Constitution. C’est ce qui peut unir tous les partis politiques progressistes, y compris le RPG, s’il prône l’alternance en son sein.

Guineematin.com : parlons du déguerpissement en cours à Kaporo Rails et à Kipé 2. En tant qu’homme de Droit, quel regard portez-vous sur cette situation ?

Me Abdoul Kabèlè Camara : c’est vraiment malheureux. En Guinée, depuis plusieurs décennies, on ne prend jamais les choses par le bon bout. A supposer que ceux-là qui sont concernés par le cas de Kaporo Rails soient dans l’illégalité, l’illégalité qui n’est pas leur fait, parce qu’ils ont obtenu des documents administratifs pour s’y installer. Il y a sûrement des gens qui les ont autorisés à occuper ces domaines. Ils se sont installés, même s’il n’y a pas de fondement juridique dans l’occupation de ces domaines.

Mais, ce sont des citoyens guinéens, l’Etat a l’obligation des les écouter, de les comprendre et surtout en plein milieu scolaire, de trouver la solution idoine pour soulager la peine des uns et des autres. Essayer de tenir compte des déplacements des familles, des enfants en âge de scolarité ou qui sont déjà en session. Le premier semestre vient d’être achevé, le second est abordé. Les examens vont bientôt arriver. Il faut tenir compte de tout cela avant de prendre une décision aussi brutale.

Je pense que, quelque soit le fondement juridique sur lequel s’appui l’Etat, il a l’obligation de prendre les dispositions nécessaires pour que les choses se passent dans la dignité de la personne humaine, en tenant compte de tous ces paramètres, des personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer, des enfants à bas âge qui sont dans les écoles, les gens qui priaient en un lieu déterminé, même si on n’a pas démoli les mosquées ; mais, ils ne peuvent plus aller dans ces lieux de prières. Où vont-ils aller ?

C’est vrai que l’univers est le temple de Dieu, on peut prier partout ; mais, attention ! Il y a un point fixe pour les uns et les autres. Donc, vous voyez qu’il y a beaucoup de paramètres dont on devrait tenir compte. On n’a pas tenu compte et ça a été mal exécuté. On a entendu même le Président de la République dire qu’il n’a pas d’état d’âme. On applique la loi quand ça vous arrange et on ferme les yeux quand ça ne vous arrange pas. Est-ce qu’on l’a fait pour affaiblir un parti politique ? Est-ce qu’on l’a fait pour stigmatiser une population ?

Je pense que le RGD, une fois au pouvoir, mettra fin à ce nomadisme juridique et à cette gymnastique intellectuelle ou politique qui n’honore pas la Guinée. Quelques soient les circonstances, il faut tenir compte des aspirations du peuple. Quand une fraction de la population est dans l’illégalité, il y a une manière de résoudre ce problème sans coup férir.

Même si sur le fond, les gens n’avaient pas le droit de s’installer là ; mais, on doit retenir qu’ils ont été logés là par le fait de certaines personnes. Comme ce sont des guinéens, il aurait fallu trouver la meilleure formule pour soulager leur souffrance. Donc, sur la forme, il y a eu un dérapage regrettable, exécrable.

Guineematin.com : votre mot de la fin?

Me Abdoul Kabèlè Camara : c’est de demander à vous les journalistes de vous lever, comme vous l’avez toujours fait, vous avez toujours été à l’avant-garde du combat politique, pour la libéralisation des ondes, pour l’instauration de la démocratie. Continuez le combat, levez-vous dès à présent parce que vous êtes des lanceurs d’alerte. L’alerte doit être lancée pour stopper ceux-là qui sont en train de manœuvrer en coulisse pour asseoir l’idée d’un 3ème mandat, pour stopper ceux qui sont en train d’écrire dans un bureau restreint une nouvelle Constitution.

Levez-vous pour dire stop ! Arrêtez-vous, ce n’est pas dans l’intérêt du peuple. Il faut qu’on comprenne que l’intérêt de la Guinée passe par la consolidation et la préservation de notre Constitution pour que les lois et les règlements deviennent une réalité en Guinée. Qu’elles soient appliquées à l’égard de tous, pour qu’il y ait une justice, pour que la pauvreté s’éloigne de nous et que la Guinée tende vers l’émergence comme tous les pays progressistes.

Je pense que c’est le combat que nous devons mener et que je vous appelle, vous journalistes ; quelque soit votre sensibilité politique, il faut défendre la Constitution, parce que de là découle la liberté des médias et des guinéens. C’est le prix à payer. Ne vous laisser pas corrompre, c’est le message que je lance à tous les guinéens aussi. Levons-nous pour empêcher le tripatouillage et la manipulation de notre Constitution pour empêcher que la durée du mandat prévue soit violée. C’est deux mandats, non renouvelable.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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