Mort d’un jeune à Mamou : le témoignage pathétique d’un père en larme

Boubacar Baïlo Barry, père du jeune Thierno Aliou tué par balle à Mamou
Boubacar Baïlo Barry, père du jeune Thierno Aliou tué par balle à Mamou

« Quand on tire sur quelqu’un à la poitrine et que la balle sorte par le dos, on ne peut pas dire que c’est une balle perdue. S’il avait reçu la balle aux pieds ou aux bras, on pouvait dire que c’est une balle perdue. Mais, sur la poitrine ? Cela veut dire qu’ils (les agents de sécurité) ont tiré à bout portant », a indiqué monsieur Boubacar Baïlo Barry, après l’enterrement de son fils, Thierno Aliou Barry, au cimetière de Kôdala, dans le quartier Kimbely, commune urbaine de Mamou, ce mardi, 15 octobre 2019.

Comme annoncé dans nos précédentes dépêches, un jeune élève a été tué par balle le lundi dernier, 14 octobre 2019, à la première journée des manifestations contre un troisième mandat appelées par le front national pour la défense de la constitution (FNDC). Et, monsieur Boubacar Baïlo Barry (le père de la victime) assure que son fils n’était pas sorti pour manifester. Mais, « il a été tué à bout portant » alors qu’il cherchait à rejoindre un poste de gendarmerie où un de ses cousins était détenu.

Thierno Aliou Barry, tué par balle à Mamou

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de l’intervention de ce vieil homme qui a perdu à tout jamais un fils pour lequel il nouait une grande admiration ; surtout après s’être félicité de son admission au BEPC (brevet d’étude du premier cycle) session 2019.

« Le lundi matin, Thierno Aliou est allé à l’école. Quelque temps après, il est revenu à la maison. Quand je l’ai interrogé, il m’a dit qu’ils n’ont pas fait cours. Je lui ai alors demandé de laver ma moto. Et, je me suis rendu en ville pour acheter des piles pour ma torche ; parce que ça fait trois jours que nous n’avons pas de courant. Quand je suis revenu de la ville, on s’est attelé à nettoyer les abords de notre cour. Et, c’est à midi qu’on a arrêté ce travail. On est resté à la maison jusqu’à 14 heures. C’est après la prière de 14 heures qu’un enfant est venu me dire que mon neveu a été interpellé par les agents de la FOSSEPEL (nom encore donné à la brigade de gendarmerie mobile N°12 à Mamou, NDLR). Quelques temps après, un autre jeune est venu nous dire que mon neveu a été sérieusement battu et conduit à l’hôpital régional. C’est ainsi que je me suis rendu à l’hôpital pour vérifier. Mais, mon neveu n’y était pas. Je suis revenu chez moi vers 16 heures. Et, mon enfant (Thierno Aliou Barry) qui a été tué nous a dit qu’il va aller voir dans quel poste de gendarmerie ou de police mon neveu est détenu. Mais, notre route qui passe devant le poste de la FOSSEPEL était barrée. Cependant, comme il connait très bien le quartier, il a emprunté des ruelles pour aboutir à l’union musulmane (une école franco-arabe, NDLR). Son arrivée sur ce lieu a coïncidé aux affrontements entre les jeunes manifestants et les agents des forces de l’ordre. Dès qu’il (Thierno Aliou) est apparu, les agents ont ouvert le feu sur lui. La balle l’a atteint à la poitrine et elle est sortie par son dos. Il est tombé et il a rendu l’âme sur le champ. Cela s’est passé après 17 heures. Les jeunes ont conduit son corps à l’hôpital. C’est après qu’un jeune, un de nos voisins qui l’avait reconnu, a appelé son père pour lui dire de venir m’informer que mon fils a été fusillé. Ce voisin est venu en courant chez moi. Il détenait son téléphone en main. Il m’a passé son fils ; et, ce dernier m’a dit que mon enfant a été tué. C’est ainsi que je me suis rendu à l’hôpital. Quand je suis arrivé aux urgences, j’ai vu une mare de sang devant la porte. Les gens se sont mis à me présenter des condoléances. J’ai passé plus d’une heure en train de taper à la porte des urgences pour qu’on me permette de voir mon fils. C’est quand j’ai supplié les médecins en disant que quoiqu’ils fassent, si mon fils est mort ils ne pourront pas le ramener à la vie, qu’ils ont accepté d’ouvrir la porte. Lorsque je suis entré dans la salle, ils m’ont montré le corps. J’ai vu les traces de la balle, je l’ai embrassé et je suis sorti des urgences pour informer ma famille. Nous sommes restés à l’hôpital jusqu’à 20 heures ; mais, ils nous ont dit qu’on ne peut pas récupérer le corps. On est alors rentré chez nous pour y passer la nuit. Ce mardi, nous sommes encore partis à l’hôpital. Et, vers 11 heures, on nous a rendu le corps de Thierno Aliou. On l’a enterré après la prière de 14 heures. C’est comme ça que ça s’est passé. Thierno Aliou n’est jamais sorti manifester. Il est âgé de 18 ans ; et, c’est cette année qu’il a eu le brevet. Il fait partie des six enfants qui ont été admis au brevet dans tout notre quartier. Je demande aux autorités de dire aux agents de la sécurité de ne pas tirer sur les enfants des gens. Ceux qui tirent sur les gens, si on enquête un peu, on verra qu’ils sont apparentés à ceux qu’ils tuent. S’ils ne sont pas liés par le sang, ils sont au moins tous des guinéens. Je demande à la justice de dire la vérité dans cette affaire. Il faut que les agents arrêtent de tirer sur les gens comme s’ils tuaient des singes. Quand on tire sur quelqu’un à la poitrine et que la balle sorte par le dos, on ne peut pas dire que c’est une balle perdue. S’il avait reçu la balle aux pieds ou aux bras, on pouvait dire que c’est une balle perdue. Mais, sur la poitrine ? Cela veut dire qu’ils (les agents de sécurité) ont tiré à bout portant », a dit Boubacar Baïlo Barry au bord des larmes.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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