Centre d’exposition de N’Zérékoré : immersion dans le quotidien des artisans

Marie Françoise Lamah, directrice préfectorale des femmes teinturières du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré
Marie Françoise Lamah, directrice préfectorale des femmes teinturières du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré

Construit sous le régime de Lansana Conté sous l’appellation « village artisanal », le centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré a été l’un des édifices rénovés dans le cadre du cinquantenaire de la fête tournante de l’indépendance nationale. Cet édifice flambant neuf accueille divers articles fabriqués par les artisans de la région qui font valoir leur génie créateur. L’envoyé spécial de Guineematin.com dans la capitale de la Guinée Forestière y a fait un tour pour échanger avec les artisans sur les difficultés qui les assaillent en ce moment.

Placé sous la tutelle de la Direction Préfectorale de l’Hôtellerie, du Tourisme et de l’Artisanat, le centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré attire le premier visiteur de par la qualité et la beauté des articles qui y sont exposés.

Moise Haba, assistant de la directrice préfectorale de l’Hôtellerie,
Moise Haba

Selon Moise Haba, assistant de la directrice préfectorale de l’Hôtellerie, « ce lieu s’appelait village artisanal et a été construit sous la 2ème République, au temps du Général Lansana Conté où c’était fait en des cases rondes. Chaque préfecture avait sa case. Donc, elles étaient au nombre de sept (07). Après, ces cases ont commencé à se dégrader et elles sont tombées. Avec les festivités tournantes de notre indépendance, il a été prévu de faire un centre d’exposition artisanale. Comme le nom l’indique aujourd’hui, ce n’est pas pour la fabrication des articles artisanaux, mais c’est pour leur exposition. Au jour d’aujourd’hui, il y a principalement six (06) sections qui sont là, à savoir : la raphiaterie, la teinture, la section bambou, la sculpture, les antiquaires et la calligraphie. Ces derniers moments, il y a d’autres sections, notamment la coiffure, la couture et la chaudronnerie qui ont demandé d’avoir une case. Mais pour le moment, ils ne font pas d’exposition là-bas ».

Aux abords du centre, chaque artisan a son propre atelier où il fabrique les articles qui sont ensuite exposés à l’intérieur, dans les différents stands. Dans les différents échanges, chaque artisan a expliqué les difficultés liées à l’exercice de son métier, aussi bien dans la fabrication que dans l’exposition des objets.

Roger Bréhémou

Roger Bréhémou, section bambou chinois : « ça fait peut-être vingt (20) ans maintenant que je pratique cette activité. Au temps de Feu Sékou Touré, j’ai échoué à l’examen et à l’époque on étudiait aussi dans les langues locales. Moi, j’ai étudié le Kpèlèwo (langue des Guerzé, ndlr). J’ai alors décidé d’apprendre le rotin et le bambou chinois. Je fais même les salons en bambou, les étagères, les portes-bics, les cendriers et les thermos. La forme qu’on donne aux objets dépend de la coupe du bambou chinois mais aussi de la dimension. C’est le bambou qui me nourrit, j’ai construit une maison et j’arrive à subvenir aux besoins de ma famille. Mes clients viennent de Conakry, de la Côte D’Ivoire. Pour le prix, les thermos sont à 65 mille FG, les pots de fleurs à 55 mille FG, les gobelets à 35 mille FG, les cendriers à 15 mille FG. Et si c’est le salon qu’on doit monter, c’est à 500 mille FG. Le transport du bambou est très difficile, il y a des endroits où le véhicule ne peut pas aller. Quelques fois, on est contraint de transporter sur la tête ou de déplacer un taxi-moto pour transporter petit-à petit. Je demande à l’Etat de nous aider, mais aussi de s’intéresser aux enfants abandonnés pour qu’ils viennent apprendre ce métier avec nous. J’avais cinq apprentis, ils m’ont tous quitté. Certains sont au Libéria et d’autres en Côte D’Ivoire. Je suis seul maintenant. C’est pourquoi, je demande aux jeunes de venir apprendre. Un moment va arriver, on ne trouvera pas le bois, sauf le bambou ».

Marie Françoise Lamah, directrice préfectorale des femmes teinturières du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré
Marie Françoise Lamah, directrice préfectorale des femmes teinturières du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré

Marie Françoise Lamah « Manéa Né », directrice préfectorale des femmes teinturières du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré : « j’ai commencé la teinture depuis 1998, mon maitre était là, il s’appelle Siba Kpaye. C’est avec lui que j’ai appris la teinture forêt sacrée, qui est faite à l’aide des produits issus de la forêt sacrée. D’autres pensent que si on dit forêt sacrée, c’est quelque chose qui est liée à l’initiation. Non, ce n’est pas ça. Pour la fabrication du tissu forêt sacrée, je garde ça comme secrets de cuisine. Quand je dévoile les étapes de la fabrication, d’autres s’en serviront pour imiter ce que je fais. Mais, le pagne est fait à l’aide de l’eau de la noix de cola, c’est ce qu’on appelle forêt sacrée. Il y aussi le pagne onidi. Là, c’est les produits chimiques qu’on utilise pour donner soit la couleur jaune, la couleur verte et ainsi de suite. Je suis vieille maintenant, je ne peux pas piler la noix de cola. Je veux une machine pileuse et avoir des équipements pour nous protéger, parce que nous utilisons aussi des produits chimiques, surtout au niveau de la teinture onidi où on utilise la soude caustique. En plus, je demande au gouvernement de m’aider à avoir une petite voiture pour la commercialisation des produits. Ceux qui quittent Boké, Kindia, Labé viennent ici prendre nos produits à bas prix et vont revendre chèrement. Si nous avons un véhicule, nous-mêmes on peut commercialiser nos produits à travers tout le pays. Comme ça, nous pouvons en profiter.

Siba Haba

Siba Haba, section raphiaterie et président des artisans raphiateurs de la Guinée forestière : « c’est nos parents qui nous ont appris ce métier. Ça fait plus de trente (30) ans que je pratique cette activité qui a pour matière première le raphia. Nous partons couper les feuilles de raphia dans les bas-fonds et on extrait les fibres qui sont ensuite séchées au soleil. Après, on tisse les fibres avant de faire des modèles. Avec le raphia, nous faisons des nappes de table, des hamacs, des sacs, des chapeaux, des chaussures, des cartables et plusieurs autres objets. Nos potentiels clients sont les commerçants grossistes qui viennent acheter pour revendre dans le marché. Les jeunes filles convoitent beaucoup nos produits, les élèves, mais aussi les femmes. Le prix des sacs commence à 15 mille FG, 18 mille, 45 mille, 55 mille, 65 milles jusqu’à 150 mille FG. Nous avons des difficultés comme le manque de subvention de la part de l’Etat, le manque de participation dans les foires nationales, la rareté du raphia, mais aussi les problèmes d’acheminement, parce que nous partons très loin pour chercher le raphia.

Aboubacar Sidiki Traoré, sculpteur
Aboubacar Sidiki Traoré

Aboubacar Sidiki Traoré, sculpteur : « depuis mon enfance, je fais ce métier avec mes oncles. Donc, j’ai grandi avec ça. Mais, cela ne m’a pas empêché d’étudier. On n’étudie pas seulement pour devenir fonctionnaire. Donc, moi j’ai décidé de revenir à mon métier d’enfance au lieu de s’asseoir attendre longtemps pour avoir un emploi. Je travaille le bois rouge, l’iroko, le Gbélé de la Haute Guinée, le bois d’ébène, le bois noir qui vient des pays désertiques. Personnellement, je travaille manuellement. Parce que nous sommes dans un milieu où ne peut pas travailler avec la machine, il n’y a pas de courant. Nos clients ici, ce sont les étrangers. Le peuple de Guinée doit être conscient que la culture africaine lui appartient. Parce que, les plus grands sculpteurs d’Afrique sont originaires de la Guinée, mais le marché de l’art n’existe pas chez nous. Il faut attendre les étrangers, et la Guinée est un pays fermé au monde. Nous devons apprendre à la nouvelle génération que l’art est une connaissance de nos grands parents et que notre connaissance a existé et elle doit continuer à exister. Le prix dépend des articles : les petits tableaux sont vendus à 150 mille FG, les grands à 250 mille FG, les passeports sont à 50 milles FG. Nous rencontrons beaucoup de difficultés parce que quand le pays est fermé, on ne fait que travailler, mais on ne gagne pas. On est obligé de prendre nos objets et aller dans d’autres pays frontaliers pour chercher le marché. Personnellement, fabriquer le bois ce n’est pas quelque chose qui est facile. Parce que, les instruments que nous utilisons blessent et ça peut donner le tétanos. Il y a la fatigue, mais surtout celle du système nerveux ».

Malgré l’existence du centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré, les artisans disent à l’unanimité que beaucoup reste encore à faire pour leur épanouissement. Ils interpellent le gouvernement, notamment les départements du Tourisme et de la Culture, pour les aider à sortir de l’ornière.

De N’Zérékoré, Siba Guilavogui et Foromo Gbouo Lamah pour Guineematin.com

Tél. : 620 21 39 77/ 662 73 05 31

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